Alger, (arabe: الجزائر al-Jazāʼir), surnommée « Al Bahdja » (« La Radieuse ») ou « la Blanche », tant par les Algériens que par les Français, est la capitale de l'Algérie et la plus grande ville du pays. Avec trois millions d'habitants, l'agglomération du grand Alger regroupe 10% de la population algérienne.
Alger est bâtie sur les contreforts des collines du Sahel algérois. Les 230 km² de la métropole s'étendent sur une trentaine de kilomètres. La ville est bordée au nord et à l'est par la mer Méditerranée, et dominée par la Casbah, la vieille ville. La ville d'Alger a six portes : Bab_El-Oued, Bab Azzoun, Bab Dzira, Bab El Bhar, Bab Jedid et Bab Sidi Abd Rahmane
Appelée Icosium (l'île aux mouettes) lorsqu'elle acquit le statut de comptoir phénicien d'importance, sa fondation remonte au IVe siècle av. J.-C. (des débris de vases campiniens - datant du IIIe siècle av. J.-C. - y furent découverts dans un puits de vingt mètres de profondeur en 1940).
Antiquité : Déjà au début du Ier millénaire av. J.-C., Alger est un important comptoir phénicien En 202 avant J.-C., la ville passe sous influence romaine suite à l'alliance scellée entre Massinissa et Scipion l'Africain contre Carthage. Le nom d'Ikosim prend sa forme romanisée, Icosium. C'est vers le IVe siècle que le christianisme s'introduit à Icosium. En 429, la ville passe sous domination vandale. En 442 un traité entre Romains et Vandales permit aux Romains de récupérer Icosium et ce durant les cent ans que dura la présence vandale en Algérie. Après 533, la ville, à peine contrôlée par les Byzantins, est attaquée par des tribus Berbères
Moyen Âge: En 702, la conquête arabe convertit l'Afrique du Nord à l'islam En 960, Bologhine, fils de Ziri-Ibn-Menad, reconstruit Icosium en fortifiant et agrandissant le site occupé par les Beni Mezghenna et la baptisa « El-Djazair-Mezghenna », d'où son nom arabe actuel, El Djazaïr (الجزائر), qui signifie « les îles », par référence aux quatre îlots qui faisaient face au rivage jusqu'au XVIIe siècle. Le site se fut appelé Alguère en catalan (1375), puis Alger en français. Elle est prise en 1082 par les Almoravides, la première grande mosquée du rite malékite Djamaa El Kébir y est construite par Youssef Ibn Tachfin. En 1152, les Almohades (El-Mouwahidine) prennent Alger.
Époque moderne : En 1510 les Espagnols, l'assiégèrent et bâtirent sur un îlot de la baie d'Alger une forteresse, le Peñón d'Alger, destinée à bombarder la ville et à prévenir son approvisionnement. En 1529 Barberousse détruisit cette forteresse et construisit la jetée Kheir-Eddine, reliant les îlots à la terre ferme et constituant ainsi le premier abri du port d'Alger. Cette date marque aussi le début de la Régence d'Alger, un régime politique d'inspiration Ottomane, qui fit d'Alger la capitale d'une Algérie largement indépendante mais affiliée à la Sublime Porte. La ville ancienne, appelée la Casbah, qui a valu à Alger son surnom d'« Alger la blanche », a été très influencée par cette période. Elle est aujourd'hui classée au patrimoine mondial de l'UNESCO.
L’actrice, qui a écrit et réalisé « La Dernière Reine » avec Damien Ounouri, raconte la genèse de ce premier film algérien en costumes et en langues du XVIe siècle.
« La Dernière Reine », d’Adila Bendimerad et de Damien Ounouri. JOUR2FETE
La comédienne algérienne Adila Bendimerad incarne la reine Zaphira dans La Dernière Reine, un film sorti en salle le 19 avril, qu’elle a écrit et réalisé avec Damien Ounouri.
Rencontre avec une actrice-réalisatrice inspirée par « les femmes algériennes avec lesquelles j’ai vécu », par « celles avec lesquelles je vis aujourd’hui ».
Ces dernières semaines, vous avez multiplié les rencontres avec le public en France. Vous attendiez-vous à un tel accueil ?
Adila Bendimerad Cette semaine, douze nouvelles salles accueillent le film et nous en sommes très heureux. Les réactions sont bouleversantes. Algériens vivant en France, Français d’origine algérienne, Français, gens d’ailleurs, tous sont très émus par cette histoire et cette Algérie qu’ils ne connaissaient pas.
Au cinéma, notre pays est encore vu essentiellement à travers la colonisation ou les années du terrorisme. Or on constate que le public se passionne pour cette reine mais aussi pour ce patrimoine qui n’a jamais existé à l’écran. C’est le premier film algérien d’époque en costumes et avec des langues de l’époque qui ne sont pas réduites à des onomatopées. Pour autant ce n’est pas juste un film de burnous et de sabres.
Comment est née cette histoire ?
Nous n’avons pas inventé Zaphira. Aujourd’hui encore, un peu partout en Algérie, des histoires circulent sur cette reine. Elle relève de la légende, fait partie de notre patrimoine immatériel. On aurait pu choisir un personnage historique mieux identifié, plus documenté mais ce qui nous a intéressés, ce sont les zones inexplorées, incertaines de cette histoire.
On est évidemment beaucoup plus informés sur les personnages masculins, comme Aroudj Barberousse (interprété par Dali Benssalah), personnage très romanesque, fort de son bras d’argent, à la fois redouté et redoutable, et libérateur d’Alger face aux Espagnols.
Zaphira, elle, oscille constamment entre la disparition et l’apparition. Elle me fait penser à Alger, à sa Casbah martyrisée, rasée à plus de 80 % pendant la période coloniale. Leurs destins se ressemblent. Elles ont été effacées. C’est finalement la raison de notre obstination avec Damien : mettre fin à ce double effacement d’une femme et d’une ville. C’est poétique et cela permet de créer une mythologie.
Quelle image de Zaphira avez-vous voulu faire passer ?
Celle d’une femme qui improvise, qui évolue. Si le roi Salim Toumi (Mohamed Tahar Zaoui), son époux, n’était pas mort, elle n’aurait probablement pas quitté le palais. Mais les menaces qui pèsent sur Alger, cette nouvelle population qui arrive avec les Corsaires, ce chamboulement de l’histoire au XVIe siècle va lui ouvrir les portes du pouvoir. Elle sort de l’invisibilisation. En sauvant son fils, elle sauve Alger. A ce moment-là, elle devient vraiment intéressante.
Il y a d’autres personnages de femmes dans le film : Chegga, la deuxième épouse du roi, Astrid la femme scandinave d’Aroudj. Que nous racontent-elles ?
Oui, le film aurait pu s’appeler Les Reines. Chegga (Imen Noel) s’inscrit dans la tradition, celle des rois d’Alger qui épousaient toujours une princesse kabyle pour des raisons politiques et militaires. Quand elle apparaît pour la première fois, elle observe les hommes parler de politique derrière son moucharabieh. Elle aimerait intervenir mais ne peut pas.
Et puis, il y a la femme scandinave d’Aroudj (Nadia Tereszkiewicz). A un moment, elle s’exclame : « J’ai voulu nuire à Zafira mais elle me rappelle moi quand j’étais esclave et que je me débattais seule. » Elle a tout fait pour son homme, a œuvré dans l’ombre, mais il la rejette quand il est sur le point d’arriver à ses fins : conquérir Zaphira et Alger.
Vous posez un regard féminin sur un monde d’hommes. Comment s’est-il imposé ?
Nous voulions raconter cette histoire méconnue à travers les femmes. Mais nous avons œuvré à deux. Et là encore, nous ne sommes pas forcément là où l’on nous attend. J’ai écrit la plupart des scènes où les Corsaires se balancent des trucs un peu « gras ». J’ai été élevée avec des garçons, j’avais seulement des frères. Quant aux scènes sentimentales, elles ont essentiellement été écrites par Damien. Lui a grandi au milieu de femmes !
Certaines féministes m’ont d’ailleurs fait remarquer que Zaphira ne l’était pas suffisamment. Mais ce n’est parce que je suis militante que je vais plaquer des discours sur Zaphira. Elle n’a pas théorisé le féminisme. Ce n’est pas facile de déborder du cadre, d’aller dans l’espace public. Celles qui ont osé le faire étaient et sont des originales. Ma source d’inspiration, ce sont les femmes algériennes, celles avec lesquelles j’ai vécu, celles avec lesquelles je vis aujourd’hui. Cela fait un film un peu androgyne.
Vous avez joué dans les films de Merzak Allouache (Le Repenti et Les Terrasses) dans le précédent film de Damien Ounouri, (Kindil El Bhar). Ce sont toujours des rôles de femmes qui tendent vers la liberté. C’est un choix ?
En Algérie, quand on fait du théâtre ou du cinéma, il y a toujours des rôles où la femme est très impressionnante quand elle sort de ses gonds. Dans Kindil El Bahr, celle que j’interprète n’est pas une révolutionnaire. Elle est sur la plage avec ses enfants, chaperonnée par sa mère. Elle attend son mari. Quand elle comprend qu’il ne viendra pas, elle se recentre sur elle-même, entre dans l’eau, commence à faire des figures, à se libérer. C’est déjà une « précréature ». C’est seulement après sa mort qu’elle devient un monstre marin vengeur. J’aime bien ces personnages qui laissent de l’espace à la sensation, à l’entrée du monde en eux et qui en sortent transformés. J’en reviens toujours à ces femmes traversées.
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Propos recueillis par Laetitia Fernandez
Publié aujourd’hui à 18h00, modifié à 18h08https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/27/adila-bendimerad-au-cinema-l-algerie-est-encore-vue-essentiellement-a-travers-la-colonisation-ou-les-annees-du-terrorisme_6171263_3212.htm.
Début avril 2023, l’Algérie a pu récupérer un manuscrit islamique datant du XVIIe siècle et qui avait été saisi par les autorités coloniales françaises en 1842. Un document qui devait être mis aux enchères en France. Mais une mobilisation de binationaux algériens en a décidé autrement. Explications.
C’est un pas de plus dans la restitution de son patrimoine : l'Algérie a récupéré début avril 2023 un manuscrit islamique datant du XVIIe siècle.
Ce document avait été saisi par les autorités coloniales françaises en 1842, après une attaque de l'armée françaises dans les montagnes d'Ouarsenis. Une attaque dirigée contre l'émir Abdelkader, figure de la résistance anticoloniale aujourd'hui érigée en héros national.
Le 5 avril, dans un communiqué, le ministère algérien des Affaires étrangères s’était félicité de cette restitution. D'autant que le manuscrit était initialement destiné à être vendu aux enchères en France.
Mobilisation et cagnotte en ligne
C'est sur la toile que la mobilisation pour récupérer ce manuscrit avait débuté. Tout était parti d'une annonce de vente aux enchères, postée par la maison Ruellan Auction. Plusieurs membres de la diaspora, principalement des jeunes binationaux, s’étaient alors organisés : ils ont sollicité la maison de vente, le consulat le plus proche, celui de Nantes dans l'ouest de la France, et les pouvoirs publics algériens.
Certains ont même lancé une cagnotte en ligne, pour tenter de racheter le document, au cas où il serait impossible d'empêcher sa mise en vente.
Leurs efforts ont payé, puisque la vente a finalement été annulée et le document est désormais entre les mains des autorités algériennes. Alger salue un « élan nationaliste qui honore les membres de [la] communauté [algérienne] à l'étranger ».
Le ministère des Affaires étrangères y voit un « haut sentiment de patriotisme », signe d'un « attachement à l'histoire » de l'Algérie et « à l'héritage [des] grands ancêtres ». Il souligne également la « rareté » de ce manuscrit, qu’il juge « d'une grande valeur historique » et « symbolique ».
« Ce manuscrit est important pour l’ensemble des Algériens »
« Ce manuscrit est important pour l’ensemble des Algériens, déjà parce qu’il appartient, et il a appartenu, à l’émir Abdelkader qui est la figure tutélaire de l’Algérie moderne, confirme Harrys Brikh, représentant de l'Union algérienne, un collectif actif sur les réseaux sociaux, qui s'est mobilisé pour la restitution de ce document. Il est le père de la nation algérienne. C’est un grand héros pour tous les Algériens, un grand résistant, un grand homme, croyant, farouchement attaché aux bons traitements des prisonniers, un homme exemplaire pour tous les Algériens où qu’ils se trouvent de par le monde. »
Harrys Brikh poursuit : « C’est un manuscrit qui est écrit en langue arabe. Il est l’œuvre de Al-Hadi Abu Srour Ibn Abd al-Rahman al-Abbadi al-Shafi'i qui vient du Caire. Et le contenu en lui-même, les autorités vont pouvoir l’examiner de manière plus concrète. Il va être donné à des historiens algériens. Il va avoir sa place dans un musée. Nous, en tant que diaspora algérienne, nous avions vocation à récupérer ce manuscrit et nous avons œuvré pour cela, parce que justement, parce que comme je vous le disais, il a appartenu au père de la nation algérienne. Souvent, on pense que les jeunes ne sont pas attachés au patrimoine. Les jeunes Algériens sont très attachés au patrimoine historique de l’Algérie ».
Sollicitée, la maison de vente Ruellan Auction n'a, de son côté, pas souhaité commenter cette restitution.
Vendredi 21 mai 2021, le conseil municipal de la ville de Marseille a voté pour le changement de nom de l’école primaire du 3ème arrondissement. L’école Bugeaud se nommera donc désormais l’école Ahmed-Litim. L’occasion de dresser le portrait de ces deux personnages historiques, afin de mieux saisir les enjeux des débats relatifs au changement de noms de rue glorifiant des personnalités controversées de l’histoire française.
Déjà en juin 2020, le militaire français suscitait de nombreux débats. Dans un contexte social où des militants antiracistes luttaient pour déboulonner les statues et débaptiser les noms de rue d’esclavagistes et colons du passé, Jean-Michel Apathie disait à la télévision française : « Bugeaud est un salopard, il a inventé les chambres à gaz, et il a une avenue à Paris. » Qui est ce Maréchal de France, génocidaire en Algérie, au cœur des débats aujourd’hui ?
« Bugeaud est un salopard, il a inventé les chambres à gaz, et il a une avenue à Paris. » – Jean-Michel Apathie
Bugeaud, impérialiste dans l’âme ? Ses premiers pas dans l’armée française
En France, le Maréchal Bugeaud est connu pour être un homme militaire victorieux, notamment pour sa conquête de l’Algérie. Né en 1784 dans une famille de nobles de Limoge, Thomas-Robert Bugeaud débute sa carrière de militaire en 1804 dans l’armée napoléonienne et participe en tant que caporal à la bataille d’Austerlitz. Cette dernière lui permet très vite de monter en grade : il devient sous-lieutenant puis lieutenant et chef de bataillon lors de la campagne de Prusse, de Pologne et d’Espagne. Bonapartiste invétéré, il participe alors aux nombreuses campagnes impérialistes napoléonienne en Europe. Son engagement auprès de Napoléon, notamment lors de la période des Cent Jours (1815), lui vaut le licenciement de l’armée durant la seconde restauration de la monarchie française. Bugeaud décide de retourner dans le Périgord pour gérer l’exploitation agricole familiale. Néanmoins, de vocation militaire évidente, il demeure attiré par l’actualité militaire de son pays, notamment après l’invasion de l’Espagne par le duc d’Angoulême en 1823. Il demande ainsi à plusieurs reprises de rejoindre l’armée française, ce qui lui est chaque fois refusé. Mais Bugeaud est rapidement réintégré à l’armée à la suite de la chute du roi Charles X. Le nouveau régime monarchique, « la monarchie de Juillet » de Louis-Philippe connait des oppositions républicaines entraînant des révoltes en 1834. Bugeaud, enfin mommé maréchal par le nouveau souverain, est ainsi au commandement de trois brigades pour réprimer l’insurrection parisienne, entraînant la mort d’une dizaine de personnes. Thomas Bugeaud apparait alors déjà comme un homme militaire accompli.
Bugeaud, fossoyeur de l’Algérie, bienfaiteur de la France
C’est en Algérie que le maréchal Bugeaud se fait un nom. En 1836, il y est envoyé dans le dessein de réprimer la résistance de l’Émir Abdelkader face à l’invasion française. En effet, devant la ténacité de l’Émir, le Général Desmichels – alors commandant des troupes françaises à Oran – avait octroyé au combattant algérien sa souveraineté sur l’ouest du territoire algérien, en échange de la liberté commerciale et d’un traité de paix en faveur des Français. Jugé trop défavorable, cet accord entraîne le renvoi du Général Desmichels, poussé par les troupes françaises alors en position de désavantage et contraintes à la défaite face au commandement stratégique de l’Émir. C’est à cet instant que la personnalité de Bugeaud s’affirme comme pilier de la conquête de l’Algérie : une nouvelle tentative de conquête militaire de l’Algérie est lancée par l’intermédiaire de Bugeaud. Son armée est alors allouée de tous les moyens pour limiter l’influence du pouvoir de l’Émir Abdelkader, et remporte plusieurs victoires, telles que la bataille de Sikkak en 1836. Les défaites que connait la résistance algérienne contraignent l’Émir à négocier avec le maréchal, aboutissant au traité de la Tafna de 1837. Il est convenu par ce traité de reconnaître une souveraineté totale à l’Emir sur la province d’Oran, de Tittéri et d’Alger, en contrepartie d’une reconnaissance de la souveraineté impériale française sur le territoire algérien. L’Émir dénonce toutefois une violation du traité par les troupes françaises en 1839, qui souhaitent étendre le pouvoir français au-delà des termes définis par l’accord. L’occupation de l’Algérie par la France, limitée par le pouvoir de l’Émir Abdelkader, s’inscrit désormais dans l’objectif d’une conquête absolue de l’Algérie.
Fier de son expérience au sein de l’armée impériale, le maréchal met en application son apprentissage. Débarquant en février 1841 à Alger, il affirme sa volonté de ne pas faire fuir les Arabes, mais de les soumettre. Doté d’une armée riche de 100 000 hommes, Bugeaud est le fer de lance de la colonisation, et marche sur l’Algérie. Salué par ses pairs, il est fait Grand-Croix de la Légion d’honneur et Maréchal de France en 1843. Il détruit tout soutien apporté aux résistants indigènes en soumettant le Maroc en 1844, faisant de lui le duc d’Isly. Après avoir soumis la Kabylie, le Maréchal de France retrouve la métropole en 1847 après avoir régné en maître absolu sur l’Algérie depuis son arrivé près de 10 ans auparavant. C’est en héros qu’il retrouve sa fière patrie.
Démiurge de l’Algérie coloniale pour les uns, fossoyeur de l’Algérie pour d’autres, c’est par les actions militaires de Bugeaud que la France a pu marcher sur ce pays, selon sa volonté impérialiste. Il déclara ainsi : « L’armée est tout en Afrique ; elle seule a détruit, elle seule peut édifier. Elle seule a conquis le sol, elle seule le fécondera par la culture et pourra par les grands travaux publics le préparer à recevoir une nombreuse population civile ». Pour lui, la colonisation de l’Algérie devait passer par la fondation de colonies militaires : : « De tous les moyens de faire marcher vite et bien la colonisation, le meilleur, j’en ai la conviction, c’est la colonie militaire. »
Le Général Bugeaud et l’Emir Abdelakder lors de la signature du traité de la Tafna en 183
Les méthodes génocidaires de conquête de l’Algérie par Bugeaud
La conquête française passe alors par de nouvelles stratégies sous les ordres de Bugeaud ; enfumades et politique de la terre brûlée en font partie. Les razzias, ou politique de la terre brûlée, consistent à brûler les terres, le bétail et les maisons des populations locales. L’occupation du littoral algérien ne suffisant pas, Bugeaud donne ordre à l’armée française de conquérir les terres du pays, également afin de profiter des ressources qui y sont produites. Ces politiques de razzia sont soutenues par une nouvelle conception dans la démarche coloniale de l’État français, celle d’un pays voulant instaurer une colonie de peuplement en Algérie à travers la confiscation des terres appartenant aux « indigènes » pour les octroyer aux colons.
« J’entrerai dans vos montagnes ; je brulerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers et, alors, ne vous en prenez qu’à vous seuls. »
La destruction et la soumission du territoire algérien fut aussi légitimée par Bugeaud à travers des massacres de masse. Pour faire face aux tribus résistantes, Bugeaud n’eut pas peur d’assumer ses méthodes inhumaines. Il déclara ainsi devant la Chambre des députés de la monarchie de Juillet : « J’entrerai dans vos montagnes ; je brulerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers et, alors, ne vous en prenez qu’à vous seuls », menaçant alors les populations insoumises. Le 11 juin 1845, il prononce ces mots à Orléansville : « Si ces gredins se retirent dans leurs cavernes, imitez Cavaignac aux Sbéahs ! Enfumez-les à outrance comme des renards ».
Ces méthodes d’extermination entrent dans la lignée des massacres par les « enfumades ». Bugeaud écrira ainsi à propos des Enfumades du Dahra commandées par le Général Pélissier : « C’est une cruelle extrémité, mais il fallait un exemple terrible qui jetât la terreur parmi ces fanatiques et turbulents montagnards ». La violence contre les civils et contre les cultures algériennes a donc été un outil pour soumettre la population algérienne sous les ordres de Bugeaud, et leur faire accepter l’idée d’une colonisation totale de peuplement du territoire. Cette violence et déshumanisation des masses légitima sur le long terme l’action française en Algérie, hiérarchisant alors l’« indigène » sous le français colonisateur.
La mémoire de Bugeaud dans l’espace public français
Aujourd’hui en France, on retrouve plusieurs endroits portant le nom de Bugeaud, dont une avenue du 16e arrondissement de Paris, une rue du 6e arrondissement de Lyon, la place centrale de la ville de Périgueux, et jusqu’en mai 2021, une école du 3e arrondissement de Marseille, bientôt renommée Ahmed-Litim après proposition du maire de la ville, Benoit Payan. Cette initiative de changement de nom, votée par le conseil municipal de Marseille, met en avant un nom jusqu’ici inconnu : celui de Ahmed-Litim. Le rapport au conseil municipal du 21 mai 2021 permet de connaître les exploits de cet homme, tirailleur algérien débarqué à Marseille en 1944.
« Le mardi 22 août 1944, se présentent à Marseille les premières troupes de la 1ère Armée Française, dite Lattre de Tassigny, débarquées le 16 août précédent sur les côtes varoises (…) Parmi ces hommes, débarqués huit jours plus tôt et se lançant à l’assaut de la colline de Notre-Dame, se trouve Ahmed Litim. Né à el Milia, près de Constantine, il a probablement 24 ans. Il est caporal au sein de la 1ère compagnie du 1er bataillon du 7ème Régiment de Tirailleurs Algériens. Vers 16h30, le vendredi 25 août, alors que sa compagnie monte à l’assaut de Notre-Dame de la Garde pour rejoindre leurs camarades du groupe dit « Ripoll » qui viennent déployer un drapeau français depuis le clocher, il est fauché par un obus allemand au pied de la Basilique et décède le soir même de ses blessures. Il est cité à l’ordre de l’armée : « Jeune caporal, toujours le premier aux postes dangereux, a fait preuve d’un cran remarquable dans les combats de rue à Marseille. A été gravement blessé le 25 août 1944 à Notre-Dame de la Garde, alors qu’il servait lui-même son fusil mitrailleur, son tireur ayant été mis hors de combat ». Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre 1939-1945 avec palme. A travers le nom et l’histoire de cet homme, la Ville de Marseille souhaite honorer et inscrire dans nos mémoires toutes celles et ceux, combattant et combattantes, qui, au-delà de leurs origines ou de leurs croyances, ont donné leur vie pour l’idéal universel de liberté. Pour cela, il est proposé aujourd’hui de modifier l’appellation de l’école primaire publique sise 12, rue Bugeaud et de la dénommer « École Primaire Publique Ahmed Litim ».
Cette décision de la ville de Marseille intervient dans un contexte de remise en cause de certains noms de rues françaises. Alors que certains préfèrent la mise en contexte des noms, de sorte de ne pas laisser dans l’oubli ces personnages historiques, d’autres prônent leur effacement au profit de valeurs plus nobles. C’est la position du Maire de Marseille : « Le Maréchal Bugeaud a commis des horreurs lors des guerres en Espagne, dans la répression des mouvements démocratiques de 1834 à Paris puis lors de la conquête sanglante de l’Algérie brûlant des villages, enfumant des grottes où se cachaient femmes et enfants. Une école ne peut pas conserver ce nom car nous ne pouvons ni l’expliquer ni le justifier à nos enfants. A l’école on apprend à écrire, à lire, on apprend notre histoire. L’école Ahmed Litim portera donc le nom d’un de nos libérateurs, mort en héros à Marseille en 1944. », a-t-il déclaré sur Twitter.
Par Iliès et Farah
Bibliographie :
Peyroulou, Jean-Pierre, Ouanassa Siari Tengour, et Sylvie Thénault. « 1830-1880 : la conquête coloniale et la résistance des Algériens », Abderrahmane Bouchène éd., Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962. La Découverte, 2014, pp. 17-44.
Lacoste, Yves. « La conquête de l’Algérie, un cas très exceptionnel », , Géopolitique de la nation France. Sous la direction de EncelFrédéric, Lacoste Presses Universitaires de France, 2016, pp. 139-181.
Manceron, Gilles. « 8. La spécificité du cas algérien », , Marianne et les colonies. Une introduction à l’histoire coloniale de la France, sous la direction de Manceron La Découverte, 2005, pp. 159-175.
Brower, Benjamin. « Les violences de la conquête », Abderrahmane Bouchène éd., Histoire de l’Algérie à la période coloniale. 1830-1962. La Découverte, 2014, pp. 58-63.
« Retour géopolitique sur la situation postcoloniale et l’histoire coloniale de l’Algérie et du Maroc », Hérodote, vol. 180, no. 1, 2021, pp. 180-202.
Comme toutes les histoires que lui racontait sa grand-mère, le roman de Salah Benlabed aurait pu commencer par ces mots: «Ken ya ma ken, fi kadim ezaman» /«Il était une fois dans les temps anciens».
Dans Le dernier refuge, l'écrivain montréalais
D'origine algérienne évoque une page déchirée de l'histoire coloniale française, un crime qui n'a jamais été jugé, ni puni. Nous sommes en 1845. Le corps expéditionnaire français, nommé «Troupes d'Afrique», a entrepris la conquête du territoire de la Régence d'Alger. Le général Bugeaud, commandant en chef, et ses hommes se heurtent à la résistance de l'émir Abd-El-Kader et à ses partisans. Face à des soldats lourdement armés, des paysans — hommes, femmes, enfants, vieillards — se réfugient dans des grottes avec leurs troupeaux. Une guerre d'extermination par «enfumade et s»emmurements commence. Un massacre qui est le summum de l'horreur: plus de mille personnes sont gazées par les fumées et le feu de bois qui bouche la sortie.
C'est dans ce cadre historique, qui sert de toile de fond au roman, que s'inscrit le destin de la jeune Houria, innocente bergère arrachée à ses montagnes et propulsée malgré elle au coeur du conflit. Dès les premières pages, elle traverse l'obscurité bleutée d'une forêt de chênes-lièges et d'oliviers sauvages, son fils attaché sur son ventre. La peau déchirée par les épineux, griffée par les branches basses, les pieds blessés par les cailloux aiguisés, elle fuit le brasier des grottes enfumées.
Tout au long de son errance qui la mènera de ses montagnes de Kabylie aux sables brûlants du Sahara, le narrateur dialogue avec elle: il l'interpelle, raconte ses peurs et ses cauchemars, ses amours et ses deuils. En filigrane, il brosse le portrait et le parcours de l'émir Abd-El-Kader, humaniste musulman qui a combattu la haine raciale et fait l'unité de son peuple.
Son pays devenu désormais «possession française d'Afrique du Nord», ce dernier adresse ces quelques lignes prémonitoires au général Bugeaud: «Quelle est donc cette avidité qui pousse la France, qui se qualifie elle-même de forte et pacifique nation, à venir nous faire la guerre? N'a-t-elle pas assez de territoires? Qu'importe ce qu'elle nous a pris quand on le compare à ce qui nous reste! Elle avancera, nous reculerons; mais son tour viendra d'être obligée de reculer; et alors nous reviendrons.»
Humour caustique
Dans ce roman grave où les personnages aussi bien fictifs que réels se côtoient, où les descriptions des paysages sont proches de l'atmosphère réelle, il arrive qu'on tombe sur des notes d'humour assez caustiques. Au détour d'une page, un groupe de soldats français poursuit dans la plaine des autruches. Houria demande si ces animaux sont comestibles. On lui explique que «les Françaises, semble-t-il, ont coutume d'en planter les plumes dans leur arrière-train pour danser devant leurs hommes [...] leurs succès dans la conquête ont dû leur fournir de nombreuses occasions de danser car ils ont dépeuplé la région de ces volatiles».
Dans un va-et-vient entre le passé et le présent — guerre de libération (1954-1962), guerre civile (1991-2000), le romancier nous propose une réflexion sur la guerre et ses conséquences sur ceux qui la subissent, mais aussi sur leurs descendants qui intériorisent ces tragédies.
À travers son personnage féminin en exil intérieur dans son propre pays, Salah Benlabed revient également sur son thème de prédilection, l'écriture et l'exil: «écrire pour combler le vide de l'exil». Roman hybride parce qu'il est un lieu de multiples échanges qui exposent une page tragique méconnue de l'histoire algérienne, Le dernier refuge oppose au récit politique angoissant la voix profondément humaine d'un écrivain qui n'a de cesse de jeter des ponts entre des cultures d'horizons différents, algérienne et québécoise.
Comprendre son héritage historique et familial, pour transmettre et ne pas oublier. Ismaël partage avec nous une partie de son histoire personnelle : les récits de sa grand-mère.
” J’ai vécu des misères noires et aujourd’hui mon fils j’attends que la mort vienne me chercher. Je suis bientôt dans ma tombe, j’attends d’être au Paradis insha’Allah.”
Fatma Boukhalfa n’a jamais eu d’anniversaire. Elle n’a jamais connu sa date de naissance mais elle en a vécu des choses depuis. Sur sa carte d’identité il est écrit 31 décembre 1918 mais elle vous dira qu’elle a plus encore. Elle a vécu plus de choses qu’une vie pourrait en raconter. Mais pour lui rendre hommage, pour que nous n’oubliions pas et aussi peut-être pour nous inspirer, je vais essayer de vous raconter l’histoire de ma grand-mère. Elle qui me l’a partagée avec pudeur, distance même, et bien qu’elle ne sache ni lire ni écrire a dépeint tantôt en arabe tantôt en français des scènes de sa vie avec un sens aiguisé de la formule et de l’image. Son histoire est l’histoire de nombreuses femmes, celles que nous voyons aujourd’hui déambuler de plus en plus difficilement dans nos villes et qui sont les gardiennes d’une mémoire commune. La mémoire de l’Algérie colonisée, de l’Algérie en guerre et de l’Algérie indépendante.
Sa mère venait d’El Eulma une petite ville entre Sétif et Constantine. Un soir, son grand-père décide de mettre toute sa famille sur une charrette tractée par un cheval et quitter la maison direction l’est du pays et la ville de Guelma. Il venait tout juste de tuer un homme d’un coup mal placé alors que ce dernier était venu lui disputer l’eau qu’il puisait à un point d’eau. “Mon grand-père devait avoir un ami à Guelma, c’est pour cela qu’il est allé jusqu’à là-bas, ce n’était pas la même époque.” Sa mère était donc une kabyle qui n’avait jamais vraiment réussi à s’intégrer à une Algérie arabe. Elle se maria tout de même à un chaoui du nom de Ali Boukhalfa avec qui elle eut 3 enfants, Fatma, Brahim et Saïda .
“Ma mère ne parlait pas très bien arabe mais mon père n’a jamais voulu qu’elle nous parle en kabyle.”
Fatma est l’aînée de la famille. Sa mère est une sorte de sage-femme qui soigne les gens. Son père lui, est un fermier et agriculteur. Il meurt subitement dans des circonstances floues alors que sa mère est enceinte de sa petite sœur et que Fatma n’a pas encore dépassée les 10 ans. Alors veuve et enceinte, sa mère se rend chez son frère, comme le veut la tradition en cas de décès du mari. Ce dernier accepte de s’occuper de sa sœur mais refuse d’accueillir chez lui des ” enfants d’arabe”. “Je me souviens que quand mon oncle a dit ça, ma mère s’est mise à pleurer. Le frère de mon père est celui qui nous avait amené jusqu’ici. Il était grand et fort, il attrapa mon oncle par le cou et dit à ma mère que désormais ça serait lui son frère et qu’ils nous accueillerait dans sa maison avec sa propre femme et ses enfants.” C’est donc son oncle paternel qui l’élèvera elle, son petit-frère Brahim bien aimé et sa petite-sœur, Saïda. “Je n’ai plus jamais revu mon oncle maternel après cet épisode. Parfois ma mère sortait sur le pas de la porte en pleurs et appelait son frère. Elle ne l’a plus jamais revu.”
À cette tristesse, vint s’ajouter le deuil. Sa petite sœur mourut prématurément, une maladie infantile que nous aurions pu soigner facilement aujourd’hui mais que l’époque ne permettait pas. Après la mort de sa sœur, c’est celle de son oncle que Fatma doit affronter. “Quand mon oncle est mort c’est le père de Hada (un cousin) qui s’est occupé de nous.”
Fatma a grandi. Elle n’est pas encore mariée quand elle se rend chez une des femmes de la ville pour se faire tatouer. Des croix, des traits, des bonhommes, des étoiles et des fleurs parsèment ses bras et son front. “Elle m’a tatoué avec une aiguille, de l’encre et du charbon. J’ai beaucoup saigné ca me faisait mal mais je voulais être belle.”
Aujourd’hui encore ma grand-mère nous surprend parfois parée de belles gandouras aux broderies de fils dorés qu’elle a cousus elle même et du khôl sous les yeux. Elle a toujours voulu être libre et belle. Depuis que je suis petit elle se surnomme parfois en rigolant Madonna. Aujourd’hui quand on lui dit qu’elle est belle elle nous répond : “J’ai des rides, c’est fini la beauté ! C’est haram mais j’aurais aimé allé voir le médecin pour qu’il me les retire avec des piqûres… Mais bon… Dieu m’a fait comme ça, je les garde jusqu’à ma mort”. Âgée de 15 ans, elle se marie avec un jeune homme sortant tout juste de son service militaire et qu’on lui avait présenté comme étant de bonne famille : Ahmed Harkett. “Il était gentil avec moi, il me prenait dans ses bras. Il avait 20 ans. Après notre mariage nous avons eu ta tante Sakina et aussi des jumeaux mais qui sont mort bébés. On avait une petite maison avec un peu de champ dans un village pas loin de Guelma. On a vécu 6 ou 7 ans de mariage.”
Un jour où elle rend visite à sa mère avec son frère Brahim et sa fille en bas âge, sa mère est prise de maux de tête. “Elle faisait son dhikr avec le tasbih (mots à la gloire et au rappel de Dieu) comme d’habitude, puis d’un coup elle nous dit qu’elle a mal à la tête. Elle s’allonge le temps que je lui ramène un verre d’eau. Juste après avoir bu une gorgée de son verre, elle ferme ses yeux et ses lèvres arrêtent de faire le dhikr. Elle venait de mourir, comme ça, d’un seul coup. Mon frère Brahim miskine était encore jeune. (Elle mime des larmes sur son visage en mettant son doigt en dessous de l’oeil et en descendant rapidement jusqu’au menton avant de reprendre.) J’aurais dû la prendre en photo, j’aurais pu la voir encore aujourd’hui et je vous l’aurais montré. Elle me l’avait dit en plus, elle voulait que je la prenne en photo pour que je la garde avec moi si elle meurt. Je faisais le ménage chez une française qui prenait des photos, j’aurais pu. Je ne l’ai pas fait et je regrette”. Cette nouvelle épreuve dans la vie de Fatma en annonçait malheureusement une autre. Elle a une vingtaine d’années, sa fille 4 ou 5, et elle est à nouveau enceinte quand l’annonce de la fin de la Seconde Guerre mondiale retentit à Guelma.
Guelma, la ville de naissance de l’une des figures de proue du FLN (Front de Libération Nationale) , Houari Boumediene, était connue pour ses mouvements nationalistes et indépendantistes. Le 8 mai 1945, à l’annonce de la victoire des alliés contre le nazisme, les Guelmois réclament leur indépendance face à l’empire colonial français en hissant des drapeaux algérien et des pancartes indépendantistes. Une manifestation réprimée par l’empire français qui fera 3 000, 8 000, 15 000, 20 000 ou 30 000 morts selon les différents historiens.
“Ahmed (son mari) travaillait avec le PPA. Le jour de la manifestation, les soldats français lui ont cassé le nez et la bouche puis l’ont tué. Je me souviens qu’il y avait plein de morts dans la rue, on avait creusé un trou pour tous. Il y a une femme que j’avais reconnue à sa ceinture parce qu’elle n’avait plus de visage. D’autres étaient lumineux, des anges avaient écrit sur leurs fronts mais je ne sais pas lire… les shuaadas…”. Alors veuve, orpheline et la mère d’une fille en bas âge, Fatma va accoucher de son fils Rachid dans ce contexte terrible.
“Dans notre maison, il y avait un trou dans le toit. Quand il faisait chaud le soleil y entrait et quand il pleuvait la pluie y entrait aussi. Il n’y avait rien à manger. C’était la misère. Mon fils Rachid est mort de faim, c’était encore un bébé.”
Sa maison avait brûlé. Le traumatisme et les années ont estompé ce souvenir à tel point qu’elle ne sait plus qui l’avait incendié ni à quel moment cela arrive dans sa vie. Elle rejoint donc son frère avec sa fille. Elle réussit à trouver un travail de domestique et est logée chez des colons. Son frère Brahim lui est jardinier pour cette même famille de colon, une branche de la famille Schneider.
La guerre d’Algérie éclate, elle travaille toujours comme domestique pour diverses familles de colons. Mais en ces temps de guerre, il valait mieux pour une mère seule avec sa fille de se marier. “Je ne voulais pas me remarier mais j’avais peur pour ma fille et pour moi. On ne sait jamais ce qui peut arriver.”
Fatma rencontra et épousa donc Abd-el-Kader Guerrib, un notable algérien, commerçant, lettré et garde-champêtre vers 1958. Un homme divorcé qui avait déjà 5 enfants et marié à une autre femme. Il était grand et avait les yeux bleus. Elle partagea son mari avec cette autre femme et accueilli les enfants du premier mariage. Donnant même le sein à la plus petite des enfants qui était encore bébé. Elle s’occupait de tous les enfants car sa maison était la plus proche de l’école. “Abd-el-Kader était gentil avec moi. Mais pas avec les autres. La femme qu’il avait divorcé voulait voir ses enfants et venait parfois chez moi. Abd-el-Kader ne voulait pas qu’elle les voit. Un jour il rentra du travail alors qu’elle était là. Je l’ai cachée derrière un rideau et quand Abd-el-Kader m’a dit qu’il y avait quelqu’un chez moi et qu’il m’a demandé qui c’était je lui ai répondu que j’invitais qui je voulais chez moi. Tant que ce n’était pas un homme il n’avait rien à redire. Il avait compris qui était là mais il était parti en nous laissant tranquille.”
La liberté revenait peu à peu dans la vie de ma grand-mère, bien que la guerre n’était pas officiellement terminée. Elle avait un travail, une maison, un mari (qui voulait dire une sécurité), sa fille avait un peu moins de 20 ans maintenant. Comme sa mère, Fatma est une sage-femme et soigne les gens en plus de faire les ménages. Son nouveau mari travaillait avec le FLN selon ma grand-mère mais son histoire paraît bien plus trouble étant donné qu’il était garde champêtre, il travaillait de fait aussi avec l’administration française. “Il cachait tellement de gens à la maison, tout le temps. Un jour, il m’avait dit de porter des affaires pour le FLN sous ma gandoura en faisant comme si j’étais enceinte. On était passé en voiture devant des militaires en prétextant que je devais aller à l’hôpital. Le FLN avait même réquisitionné la voiture d’Abd-el-Kader… ” Abd-el-Kader faisait des allers-retours entre la France et l’Algérie pour son commerce. Il avait des camions de marchandises qui partaient de Guelma et ravitaillent les Douars du Sahara.
En 1962, l’Algérie devint indépendante et la France a eu besoin d’hommes pour relancer l’économie après la Seconde Guerre mondiale. Les Algériens nés pendant la colonisation avaient alors une carte d’identité de français musulman. Des entreprises diverses recrutaient alors des hommes dans les villes d’Algérie. Après son arrivée à Marseille, Abd-el-Kader passe par Lyon puis s’installe à Corbeil-Essonne. “Il m’a dit de venir le rejoindre, mais moi je venais tout juste de tomber enceinte. Je lui ai dit que je le rejoindrais après. Son autre femme elle n’a pas voulu le rejoindre et en profita pour divorcer puisqu’elle ne lui avait pas fait d’enfants“.
Un peu après la naissance de son fils (mon père), Fatma rejoint son mari en France avec sa fille et les plus jeunes enfants du premier mariage. Elle a un peu moins de 45 ans quand elle arrive en France, mon père lui n’a pas encore 1 an. “Pour des histoires de papier Abd-el-kader va chercher les enfants de sa première femme. Nous déménageons tous à Longjumeau (une ville du 91 près de Corbeille-Essonne).”
Abd-el-kader devient gardien de l’hôpital de la ville et Fatma, elle, fait les ménages et s’occupe de mon père et de mes oncles et tantes nés du premier mariage de mon grand-père. Toujours à la recherche de sa liberté, Fatma divorcera d’Abd-el-Kader quand celui qui était si gentil avec elle en Algérie se mit à devenir violent. C’est ainsi que mon père et ses demis-frères et sœurs furent dispersés dans différents foyers et familles d’accueil. La situation mis près de 5 ans à se stabiliser, 5 ans avant que ma grand-mère ne récupère la garde, 5 ans durant lesquelles elles vivra elle même en foyer pour femme et se demmenera pour rendre visite à mon père.
L’immense fierté de ma grand-mère : c’est mon père. C’est pour lui qui elle vint en France et c’est sur lui qu’elle cristallisa ses espoirs d’une vie meilleure. Malgré une enfance plus que difficile, des discriminations racistes tout au long de sa scolarité, mon père réussit, par son travail et le soutien indéfectible de sa mère, à ouvrir son propre cabinet en tant que kinésithérapeute ostéopathe. Il pu nous offrir à mes trois frères et moi, la vie que ni lui, ni sa mère, n’eut. Comme une épreuve de plus à celle qui en a déjà tant vécue, mon père contracta une maladie auto-dégénerative qui paralyse peu à peu ses nerfs et le prive de l’usage de ses différents membres.
J’ai toujours su que ma grand-mère avait traversé des épreuves dures mais je n’avais jamais osé lui demander de m’en parler. Je portais cette histoire implicitement, sans la connaître ni la comprendre. Aujourd’hui, en écrivant ce témoignage, en osant interroger ma grand-mère sur sa vie, je me réapproprie son histoire comme étant mon héritage. Une histoire de famille qui laissa des traces indélébiles dans la vie de mon père et qui s’exprima notamment dans l’éducation qu’il me donna.
Maintenant je comprends mon histoire et j’en suis pleinement fier. Je ressens le devoir de m’en montrer digne. Je ressens l’amour et l’espoir placé en mon père et dont j’ai la chance d’hériter. Je ressens le devoir de lui rendre hommage, de la préserver et de la transmettre à mon tour.
L’été 1962 marque l’indépendance de l’Algérie, dans un contexte d’effervescence, d’espoir, mais aussi, ne l’oublions pas, de craintes et d’incertitudes sur le plan politique. La perspective de l’indépendance devenant réalité, le FLN apparaît plus divisé que jamais. C’est alors l’été de la discorde (1). Riyad revient aujourd’hui sur la crise de l’été 1962 qui a forgé l’Algérie indépendante, posant les bases de son régime politique actuel.
Algérie, juillet 1962. Les forces politico-militaires coalisées sous l’égide du GPRA (gouvernement provisoire de la République algérienne), et celle de l’EMG (État-major général), autrement connu comme “le clan d’Oujda”, s’affrontent pour la souveraineté. La question de la légitimité du pouvoir se pose : d’un côté, la légitimité politique, de l’autre, la légitimité militaire. Sous le regard impuissant des Algériens, un été sanglant s’ouvre en juillet 1962. Le chapitre conclusif de la colonisation s’ouvre alors sur une entente impossible autour de ce que doit être l’Algérie indépendante.
Le FLN miné par les luttes intestines
Depuis le congrès de la Soummam du 20 août 1956, la direction du FLN est en proie à une constante tension interne, les chefs politico-militaires se disputant le leadership de cette structure dépourvue d’un pôle de pouvoir centralisé. L’historien algérien Mohammed Harbi définit alors le FLN comme étant : « une structure fondée sur une multiplicité d’organisations quasi autonomes, juxtaposées et reliées à un centre (…) L’autorité de ce centre diminue au fur et à mesure que l’on descend du sommet vers la base. La bureaucratie qui gère ces organisations n’est pas régie par des règles, mais modelée par les relations personnelles. Les allégeances aux chefs de faction ne sont pas stables et évoluent au gré des circonstances. (2) »
La réunion du CNRA (Conseil national de la Révolution algérienne) d’août 1957 au Caire revient sur les dispositions politiques phares du congrès de la Soummam : la primauté du politique sur le militaire et celle de l’intérieur sur l’extérieur. Un leadership nouveau émerge, celui des « 3B », composé des colonels Krim Belkacem, Lakhdar Ben Tobbal et Abdelhafid Boussouf. On retrouve notamment les « 3B » au sein du GPRA.
Plusieurs affaires secouent le GPRA et aggravent la fracture entre l
es unités combattantes à l’est et la direction politique (3). L’affaire du « complot des colonels (4)» en 1958-1959 est, à ce titre, un exemple particulièrement significatif.
À partir de 1958 la situation de l’ALN se dégrade. Les barrages frontaliers rendent presque impossible la traversée des frontières et le ravitaillement des wilayas, tandis que les grandes opérations militaires françaises menées entre 1958 et 1959 ont rendu les maquis exsangues. Dans ce contexte, un ensemble hétéroclite de combattants aux frontières, communément nommé « armée des frontières » émerge et se structure progressivement. L’ALN de la frontière tunisienne souffrait d’un manque d’organisation et d’encadrement militaire, d’un régionalisme ambiant et d’une multiplication des cas de dissidences. Les officiers qui y ont servi témoignent de la même situation chaotique qui régnait à la frontière est (5).
La création, sur décision du CNRA, d’un État-major Général en janvier 1960, était une tentative de résoudre ces problèmes et de rendre à nouveau possible le ravitaillement des wilayas. Le CNRA confie la nouvelle entité au colonel Houari Boumediène. Celui-ci entreprend alors de remettre de l’ordre à la frontière, d’opérer une réorganisation du commandement et des unités et de consolider l’instruction militaire (6). Pour accomplir cette mission il compose un État-major composé de trois adjoints : le commandant Kaïd Ahmed, le commandant Ali Mendjeli et le commandant Azzedine. Le général-major Hocine Benmaalem écrit : « Boumediène sut tirer parti du chaos. Il prit les mesures d’urgence qui s’imposaient (7) ». L’EMG structura l’armée des frontières sur le modèle d’une armée classique, Boumèdiène devenant alors le « chef charismatique de l’armée des frontières qu’il réussit à unir sous ses ordres » (S.Arezki, 2018). D’après Khaled Nezzar, sous-lieutenant à l’époque, l’apport principal de l’EMG fut d’opérer un brassage régional au sein du commandement et des unités opérationnelles, afin de briser l’esprit régionaliste (8).
En 1962, l’armée des frontières stationnée à l’ouest et à l’est est forte d’environ 30 000 à 32 000 hommes (dont la majorité est stationnée à l’est). Elle constitue alors une force disciplinée, formée et bien équipée, au service de son chef, dont les ambitions commencent peu à peu à apparaître au grand jour. Les premières tensions éclatent avec le GPRA lors de l’affaire du pilote français fait prisonnier en juin 1961.
Les accords d’Évian signés le 18 mars, entrent en vigueur le lendemain. Ils ont pour effets immédiats d’appliquer un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire et de libérer les prisonniers politiques algériens. Parmi eux, cinq chefs historiques du FLN arrêtés le 22 octobre 1956 : Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostefa Lacheraf. L’EMG s’oppose à ces accords, qu’il juge défavorables à l’Algérie, accentuant la discorde avec le GPRA. Entre mars et juillet, alors que les structures de l’État colonial s’effondrent, la confusion s’installe et se généralise (9), notamment sous les actions de l’OAS. Le congrès de Tripoli (27 mai au 7 juin 1962), chargé de statuer sur un programme et une direction politique pour l’Algérie indépendante est lui-même sujet aux divisions idéologiques (10).
Le conflit ouvert : le groupe de Tlemcen contre le groupe de Tizi-Ouzou
Lorsque l’indépendance est proclamée le 5 juillet 1962, le FLN est plus divisé que jamais. En effet, le GPRA décrète la dissolution de l’Etat-major général le 30 juin, une décision refusée par l’EMG. Pour appuyer sa position et combler son manque de légitimité, Houari Boumediène contracte une alliance avec une figure historique du mouvement nationaliste : Ahmed Ben Bella.
Le 22 juillet, Ahmed Ben Bella proclame la formation d’un Bureau politique depuis Tlemcen ; Ce sera le « groupe de Tlemcen ». Le 25 juillet, des affrontements se déroulent en Wilaya II à Constantine et Bône (11), entre les maquisards du Colonel Salah Boubnider « Sawt al-arab (12) » et les bataillons de l’EMG soutenus par des dissidents de la Wilaya II (13). En réponse, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf et Mohand Ouldhadj appellent depuis Tizi Ouzou à la « résistance populaire » contre ce Bureau politique. A la fin du mois de juillet, deux nouvelles organisations politico militaires informelles émergent donc : le Groupe de Tlemcen et le Groupe de Tizi-Ouzou (14).
Les six Wilayas sont divisées et sommées de choisir un camp. Le Groupe de Tizi-Ouzou est composé de :
La Wilaya III du colonel Mohand Ouldhadj qui fait bloc derrière son chef historique Krim Belkacem.
La Wilaya IV qui lutte pour la prééminence du pouvoir politique.
La Wilaya II du colonel Salah Boubnider, qui reste fidèle à son ancien chef Lakhdar Ben Tobbal, membre du GPRA.
Le groupe de Tlemcen n’est pas non plus en reste de soutiens intérieurs :
La Wilaya I, dirigée de facto par le colonel Tahar Z’Biri (15). A. Mohand Amer écrit : « Le ralliement de la wilaya 1 au groupe de Tlemcen n’est pas le résultat de tractations ou de stratégie, il est la conséquence du déficit de légitimité du GPRA (16) ».
La Wilaya V qui fut dirigée par Boumediène se rallie presque mécaniquement à l’EMG. La subordination de cette Wilaya au groupe de Tlemcen est en partie favorisée par le fait que plusieurs cadres de l’EMG sont issus de l’ouest.
La Wilaya VI du colonel Mohamed Chaâbani. Si la Wilaya VI rejoint le groupe de Tlemcen, c’est qu’elle choisit en fait le « segment le plus fort du F.L.N » pour se faire réhabiliter (A. Mohand Amer, 2014).
Le groupe de Tlemcen dispose d’une force de frappe plus puissante, l’armée des frontières étant composé d’environ 30 000 djounouds alors que les maquis de l’intérieur comptaient environ 10 000 maquisards (17). Outre la supériorité numérique, l’ALN aux frontières disposait d’un meilleur équipement que celui des moudjahidines de l’intérieur, qui était rudimentaire. Enfin, le groupe de Tizi-Ouzou manque de cohésion. En son sein, la Wilaya IV fait presque cavalier seul sans faire acte d’allégeance au GPRA. La Wilaya II quant à elle, s’oppose à l’EMG sans formellement rejeter la légitimité de Ben Bella à avoir des ambitions hégémoniques sur le FLN. Dans une perspective pragmatique, l’opposition à Boumediène ne signifie pas pour autant une hostilité à Ben Bella (ce qui renforce ce dernier).
Les premiers affrontements éclatent dans le Nord Constantinois et à Alger, les 26 et 27 juillet. La Wilaya II tombe face aux bataillons de l’EMG et aux maquisards de la Wilaya I. Le 2 août, c’est un GPRA mené de facto par Krim Belkacem, mais vidé de ses dirigeants qui accorde une reconnaissance provisoire au Bureau politique ; Mohamed Boudiaf rejoint cette entité le lendemain. Le 29 août, de violents affrontements entre la wilaya IV et la ZAA (Zone autonome d’Alger (18)), éclatent à la Casbah d’Alger.
La population, épuisée et excédée, descend dans les rues et crie “Sab’a snîn barakat !” (Sept ans ça suffit !). Suite à ces évènements, Boudiaf démissionne du Bureau politique. Les maquisards de la wilaya IV sont rapidement écrasés par la coalition de Tlemcen. Ahmed Ben Bella s’impose donc comme le grand vainqueur politique de cette confrontation ; l’état-major général contrôle quant à lui l’ensemble du pays à l’exception de la Kabylie (19). Le 25 septembre 1962, Ahmed Ben Bella devient président du Conseil des ministres, devenant de facto le chef de l’État, tandis que l’assemblée nationale constituante prend ses fonctions avec Ferhat Abbas comme président ; c’est la naissance de l’État algérien contemporain.
Une indépendance confisquée ?
Dans un imaginaire populaire entretenu par une longue tradition contestataire, la crise de l’été 1962 est souvent considérée comme la confiscation de l’Etat et du pays par les militaires, et plus précisément, par le « clan d’Oujda ».
L’été 1962 était une période de transition chaotique. Le FLN n’étant pas préparé à se substituer à l’Etat colonial, l’Algérie a connu une situation anarchique et un vide politique. Cette crise est structurée par des mécanismes d’affiliations idéologiques certes, mais aussi – et surtout – par des mécanismes d’affiliations claniques, régionalistes et par les ambitions personnelles. On ne peut attribuer l’échec du GPRA à s’emparer du pouvoir aux seules ambitions de ses opposants. Le large discrédit qui frappait le GPRA depuis 1961 au sein de l’ALN de l’intérieur a joué en faveur de l’ALN de l’extérieur.
La primauté du militaire sur le civil ne fut pas consacrée en 1962, cette question fut réglée lors du CNRA d’août 1957 au Caire, les chefs de l’ALN avaient récupéré la « Révolution (20)», qu’ils estimaient être leur œuvre. Avaient-ils vraiment tort ? Dans l’immense majorité de ce pays encore essentiellement rural, le FLN était incarné par les moudjahidines issus de ce même monde rural. Ils étaient dépositaires de la légitimité de la souveraineté postcoloniale, aux yeux d’une société et d’une culture qui accordent du prestige au militaire et voient dans la guerre une activité noble (21). La primauté du militaire sur le civil reflète donc la réalité de la Révolution telle qu’elle s’est développée pendant la guerre (J.McDougall, 2017).
L’issue de cette crise voit donc la fondation de l’Etat algérien contemporain, qui prend la forme d’un régime autoritaire à parti unique, le FLN. Jusqu’à la fin des années 1970, la construction de cet État sera entreprise et marquée par ceux qui ont soutenu le groupe de Tlemcen (bien que le coup d’Etat du 19 juin 1965 vienne renouveler la classe dirigeante). Toutefois la crise ne se règle pas uniquement par la violence, elle se règle aussi par la mise en place d’un circuit de redistribution économique et sociale. Comme le relève Luis Martinez, la crise trouve une sortie dans « des débouchés économiques pour les principaux contestataires du pouvoir conquis par“l’armée des frontières”. À certains cadres et responsables politiques du GPRA sont octroyées des autorisations d’importation qui feront d’eux les futurs hommes d’affaires et grossistes de l’Algérie. Aux chefs des maquis de l’intérieur un habile découpage administratif du territoire assure des positions de notables locaux (22) ».
Dans la continuité des pratiques internes du FLN pendant la guerre, le nouvel Etat algérien est irrigué par les pratiques clientélistes et régionalistes. Il se révèle vite être l’assemblage complexe de plusieurs clans confédérés qui se forment sur des critères variés (23). Devenu président en 1965, Houari Boumediène reconnaitra que « l’Algérie était divisée en clans. De 1965 à 1968 nous avons travaillé durement pour ramasser tous ces clans et en faire un État ». S’il est vrai qu’en soixante ans d’existence, le régime politique algérien a connu de nombreux changements et qu’il ressemble peu à celui instauré en 1962, une constante demeure : l’Armée nationale populaire (ANP) reste l’institution la plus solide et puissante de l’État.
Par Riyad (1) Une formule empruntée à Ali Haroun. Voir HAROUN Ali, L’été de la discorde : Algérie 1962, Casbah, 1999.
(2) HARBI Mohammed, « 12. Face à l’implosion du FLN », Une vie debout. Mémoires politiques, Tome 1 : 1945-1962, La Découverte, 2001, p. 356-382.
(3) BENDJEDID Chadli, Mémoires Tome 1 : Les contours d’une vie (1929-1979), Casbah éditions, Alger, 2012.
(4) HARBI Mohammed, « Le Complot Lamouri », Dir. Charles-Robert Ageron, La Guerre d’Algérie et les Algérien 1954-1962, IHTP (Institut d’histoire du temps présent), Paris, Armand Colin, p. 151-179
(5) On peut notamment citer les témoignages de Khaled Nezzar, Chadli Bendjedid, Hocine Benmaalem et Mohamed Zerguini.
(6) AREZKI Saphia, De l’ALN à l’ANP, la construction de l’armée algérienne : 1954-1991, Alger, Barzakh, 2018.
(7) BENMAALEM Hocine, Mémoires du Général-major Hocine Benmaalem, Tome 1 : La guerre de libération nationale, Alger, Casbah éditions, 2014.
(8) NEZZAR Khaled, Journal de guerre 1954-1962),
(9) STORA Benjamin, « 12. La victoire et ses divisions », La gangrène et l’oubli. La mémoire de la guerre d’Algérie, Dir STORA Benjamin, La Découverte, 2005, p. 173-179.
(10) MCDOUGALL James, A History of Algeria, Cambridge University Press, 2017.
(11) Aujourd’hui Annaba
(12) La voix des arabes en français, il s’agit du nom de guerre de Salah Boubnider.
(13) Une dissidence menée notamment par le commandant Larbi Berdjem.
(14) Amar Mohand Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, 65-66, 2014, 105-124.
(15) ZBIRI Tahar, Mémoires du dernier chef historique des Aurès : 1929-1962, Alger, ANEP, 2008.
(16) Amar Mohand Amer, « Les wilayas dans la crise du FLN de l’été 1962 », Insaniyat, 65-66, 2014, 105-124
(17) RAHAL Malika, « 9. La démobilisation », Algérie 1962. Une histoire populaire, Dir. RAHAL Malika, La Découverte, 2022, p. 158-177.
(18) Ne pas confondre avec la ZAA de la bataille d’Alger en 1957. Cette zone en question est une entité nouvelle crée en 1962 et conteste le contrôle d’Alger à la Wilaya IV. Elle fait parti de la coalition de Tlemcen.
(19) STORA Benjamin, AKRAM Ellyas. « CRISE DE L’ÉTÉ 1962. (Algérie, juillet-septembre 1962) », , Les 100 portes du Maghreb. L’Algérie, le Maroc, la Tunisie, trois voies singulières pour allier islam et modernité, Dir STORA Benjamin, AKRAM Ellyas. Éditions de l’Atelier, 1999, pp. 133-134.
(20) Ici la « Révolution » doit être comprise comme une organisation (Nidham), et non pas comme un concept doctrinal.
(21) CARLIER Omar, Entre nation et djihad : histoire sociale des radicalismes algériens, Paris, Presses de Sciences po, 1995.
(22) MARTINEZ Luis, La guerre civile en Algérie, Khartala, Paris, 1998.
(23) OUAISSA Rachid, La classe-Etat algérienne 1962-2000, Une histoire du pouvoir algérien entre sous-développement, rente pétrolière et terrorisme, Publisud, 2010.
(24) FRANCOS Ania, SÉRÉNI J-P, Un algérien nommé Boumediène, Paris, Stock, 1976.
Dans le recueil de ses Mémoires qui vient de paraître, l’ex-homme fort de l’armée algérienne, Khaled Nezzar, apporte un nouvel éclairage sur quelques épisodes marquants de l’histoire nationale et régionale algérienne.
Sa réputation de général le plus bavard de la Grande Muette ne se dément pas avec le temps. Grande gueule devant l’Éternel, admiré par certains, honni par d’autres, le général-major Khaled Nezzar, 79 ans, n’a pas son pareil dans l’armée algérienne. Ancien ministre de la Défense avant de prendre sa retraite, acteur de premier plan au sein d’un système où la frontière entre le politique et le militaire n’est jamais étanche, Nezzar a longtemps compté parmi les décideurs les plus influents du pays.
Auteur de plusieurs ouvrages dans lesquels il revient sur sa longue carrière militaire, Nezzar cultive néanmoins encore le goût du secret, comme au temps de la révolution ou du parti unique. Dans le premier tome du Recueil des Mémoires du général Khaled Nezzar, sorti récemment à Alger, il raconte petits et grands épisodes qui ont marqué l’histoire de l’Algérie, notamment entre l’indépendance, en 1962, et le début de la guerre civile, en 1991.
De Ben Bella à Chadli, en passant par Boumédiène, Hassan II ou encore Kadhafi, cet ouvrage retrace une époque dont les grands protagonistes ne sont plus de ce monde, mais qui auront marqué, chacun à leur façon, le cours de l’histoire de leurs pays respectifs.
Stationné avec son bataillon de soldats à Bou-Saâda, à 240 km au sud-est d’Alger, Khaled Nezzar reçoit de Boumédiène l’ordre de marcher sur Alger aux côtés de l’armée des frontières. Objectif : porter Ahmed Ben Bella à la tête du jeune État algérien. « Tournez les canons vers le bas, lui dit Boumédiène, je ne veux pas de sang, mais il faut arriver à Alger. »
Et Nezzar de brosser un portrait saisissant de ce colonel aussi ambitieux que taciturne. Un visage « osseux et anguleux avec des pommettes saillantes, un front immense, des yeux petits et presque sans cils, une lippe charnue, immobile, pour cacher une dentition ravagée par le mauvais tabac ». Bien sûr, l’âge, l’exercice du pouvoir, une meilleure hygiène de vie et une heureuse vie de couple après des années de célibat avaient changé Boumédiène. Mais cet homme aux multiples facettes gardera toujours ce regard si particulier.
« IL N’Y A AUCUNE HUMANITÉ DANS LE REGARD DE HOUARI BOUMÉDIÈNE QUAND IL SE POSE SUR CELUI QUI A FAIT NAÎTRE SA VINDICTE »
« Un regard fixe, écrit Nezzar, vibrant d’un flux intensément expressif, venant de ces profondeurs de l’être où naissent des instincts primitifs de certains animaux qui savent que, pour survivre, ils doivent mordre et terrasser. Il n’y a aucune humanité dans le regard de Houari Boumédiène quand il se pose sur celui qui a fait naître sa vindicte. » Ses nombreux opposants morts, exilés, excommuniés ou assassinés en savent quelque chose, à commencer par Ahmed Ben Bella, que Boumédiène a porté au pouvoir avant de l’en déloger.
Ben Bella et les sous-marins égyptiens
Les historiens avancent plusieurs raisons pour expliquer la rupture entre Boumédiène et Ben Bella qui débouchera sur le coup d’État du 19 juin 1965. Khaled Nezzar rapporte un épisode qui marque, selon lui, le divorce officiel entre les deux anciens partenaires. Mai 1965. Ministre de la Défense et vice-président, Boumédiène se rend à Moscou à la tête d’une importante délégation militaire.
Irrité par ce déplacement, Ben Bella ordonne le rapatriement de l’avion qui avait conduit les Algériens en URSS. Sans en avertir Boumédiène. À Moscou, les Soviétiques insistent pour que celui-ci prolonge son séjour afin d’assister à la fête nationale du 9-Mai. Les égards avec lesquels est traité son ministre de la Défense agacent Ben Bella, qui dépêche une autre délégation pour prendre part aux cérémonies commémoratives. La crise qui couvait entre les deux hommes sort du cadre algéro-algérien pour prendre une dimension internationale.
QUE FAISAIT L’OFFICIER ÉGYPTIEN DANS UN HÔTEL DE LA CAPITALE ET POURQUOI DES SOUS-MARINS SE TROUVAIENT-ILS NON LOIN DU PORT D’ALGER ?
Embarrassés par les rivalités qui minent les deux délégations présentes sur leur sol, les Russes multiplient les acrobaties pour faire en sorte que les frères algériens ne se croisent pas. Bien que stoïque et flegmatique, Boumédiène vit l’initiative de Ben Bella comme un affront personnel. C’est un casus belli. « C’est ce jour, peut-être, que Ben Bella a scellé son sort », pense Khaled Nezzar.
Que faisait l’officier égyptien dans un hôtel de la capitale et pourquoi des sous-marins se trouvaient-ils non loin du port d’Alger ? Peut-être que le président égyptien Gamal Abdel Nasser, qui avait pris sous son aile Ahmed Ben Bella, comptait intervenir en Algérie pour sauver la tête de son ami. Ulcérés par le coup d’État qui a renversé leur allié, les Égyptiens réclament à Boumédiène la restitution des cinq avions de chasse MIG-15 qu’ils avaient offerts à l’Algérie en guise de cadeau d’indépendance.
Les regrets du patron de la SM
Alger, décembre 1978. Après une agonie d’un mois et demi, Houari Boumédiène s’éteint à l’âge de 46 ans. Discrète pendant que le défunt se mourait dans une chambre stérile de l’hôpital Mustapha d’Alger, la bataille pour sa succession oppose Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères et dauphin autoproclamé, à Mohamed Salah Yahiaoui, patron du FLN. Mais, contre tous les pronostics, un troisième homme apparaît sur les écrans radars.
Il s’agit du colonel Chadli Bendjedid, chef de la 2e région militaire. Sauf que sa candidature n’agrée pas tous ses collègues de l’armée, notamment Khaled Nezzar et Selim Saadi, chef de la 3e région militaire. Nezzar écrit : « Selim et moi étions convaincus que Chadli était le moins qualifié pour exercer la magistrature suprême. Il a des connaissances politiques limitées et un caractère émotif et influençable. »
MOINS MALLÉABLE ET INFLUENÇABLE QU’IL N’Y PARAÎT, REDOUTABLE TACTICIEN ET FIN STRATÈGE, CHADLI S’EMPLOIERA À « DÉBOUMÉDIÉNISER » LE POUVOIR
Les réserves des deux hommes n’auront pas d’influence sur la suite des événements. Chadli sera désigné comme successeur officiel de Houari Boumédiène grâce au travail en coulisses de Kasdi Merbah, le directeur de la redoutable sécurité militaire (SM), qui détient des dossiers sensibles sur tous les dirigeants algériens.
Pourquoi Merbah a-t-il écarté Bouteflika et Yahiaoui ? Son principal souci, expliquera-t-il plus tard, était de désigner un officier afin de préserver l’unité et la cohésion de l’armée, véritable détentrice du pouvoir et garante de la stabilité du pays. « En réalité, juge Nezzar, le chef des services, dans la perspective de conserver la réalité du pouvoir, avait choisi l’homme dont le profil psychologique lui convenait. » En clair, Chadli serait une marionnette entre les mains de Merbah. Mais ce dernier s’est lourdement trompé.
Moins malléable et influençable qu’il n’y paraît, redoutable tacticien et fin stratège, Chadli s’emploiera à « déboumédiéniser » le pouvoir en écartant progressivement la vieille garde, à commencer par Kasdi Merbah, qui sera assassiné par un groupe terroriste en 1993. Quelques années plus tard, son épouse rencontre Khaled Nezzar au cours d’un voyage. Dans l’avion, elle lui fait cette confidence : « Mon mari répétait souvent, avec un soupir, “j’aurais dû écouter Khaled Nezzar”. »
Chadli et le mur marocain
Peu après l’arrivée au pouvoir de Chadli, en février 1979, Hassan II entame la construction du fameux « mur de défense », de 2 720 km, une ligne de fortification pour se protéger des attaques du Front Polisario. Et tente, parallèlement, de se rapprocher de l’Algérie, avec laquelle les relations diplomatiques sont rompues depuis mars 1976.
Grâce aux bons offices des Saoudiens, Hassan II et Chadli Bendjedid se rencontrent une première fois en février 1983, à la frontière algéro-marocaine. Pour Khaled Nezzar – alors chef de la 2e région militaire, qui longe la frontière entre les deux voisins –, ce rapprochement est une ruse de la part du roi du Maroc, qui fait miroiter une solution politique à la crise entre Alger et Rabat.
« Hassan II a des arrière-pensées, écrit Nezzar. Le roi a tout ce qui manque à Chadli : la connaissance parfaite du dossier, la psychologie des hommes, la capacité à feindre et le manque de scrupules qui facilite les volte-face. Chadli n’a pas mesuré au juste prix ce que coûterait à Hassan II, sur le plan intérieur, un abandon de sa politique agressive au Sahara. »
Avec Mohamed Touati, chef d’état-major de la 3e région militaire, Nezzar adresse un mémo à Chadli « pour attirer son attention sur les raisons de ce brusque accès d’amitié envers l’Algérie » de la part du monarque marocain. Les deux hommes proposent des mesures pour empêcher la construction du mur : ouvrir aux combattants du Polisario un champ d’action pour pénétrer dans le territoire marocain, consolider les forces motorisées de l’armée algérienne et, enfin, déployer les hélicoptères de combat et les MIG pour protéger l’espace aérien de l’Algérie.
Un soldat marocain surveillant le « mur de défen
Lors d’un conclave à Béchar avec le commandement militaire, Chadli approuve le plan, mais refuse de le faire appliquer. Pourquoi ? Explication de Nezzar : « Il se trouve auprès du président des avis opposés, au motif que ce plan pourrait conduire à une guerre généralisée et que le contexte international n’est pas favorable. »
Quand Nezzar plante le roi
Mai 1991. Hassan II est à Oran à l’invitation du président algérien. Au cours du dîner offert en son honneur, le roi échange avec Khaled Nezzar, alors ministre de la Défense. Ce dernier lui fait part de la vision des généraux algériens des relations entre les deux voisins. « Nous militaires, lui confie-t-il, ne souhaitons qu’une chose : que les problèmes qui existent soient résolus – et résolus d’une façon pacifique. Ensuite nous aimerions nous engager avec l’armée marocaine dans une coopération pour créer les conditions d’une défense commune. L’union du Maghreb sera acquise dès lors que les économies et les forces armées des deux pays en seront les piliers et le moteur. »
Réplique du souverain marocain : « Si c’est comme ça que vous voyez le Maghreb, envoyez, dès demain, une brigade s’installer à Rabat. » Le ministre algérien de la Défense sait que le souverain marocain a une trop grande connaissance de la politique algérienne pour être honnête. « La façon dont est articulée l’Assemblée populaire nationale [APN] n’a pas de secrets pour lui », admet-il.
Le dîner terminé, Chadli demande à Nezzar de faire visiter à son hôte la base navale de Mers el-Kébir, ainsi que ses installations. Pour Nezzar, cette demande est plus qu’embarrassante. Comment le patron de l’armée pourrait-il jouer les guides avec Hassan II alors que les chars algériens sont sur le pied de guerre et que les unités sont sous pression ? Comment dévoiler aux officiers marocains les détails de la principale base navale du pays ? Le risque de démobilisation des troupes de Nezzar n’est pas exclu.
Que faire ? Avaler la couleuvre ou désobéir à l’initiative présidentielle, qu’il juge incongrue ? Khaled Nezzar décide de planter tout le monde et reprend l’avion pour Alger. Le lendemain, le secrétaire général du ministère marocain de la Défense, le commandant de la gendarmerie royale et le directeur des services de sécurité lui rendent visite dans son bureau pour lui transmettre une invitation royale à se rendre à Rabat. Nezzar ne donnera pas suite.
Rabat accepte de livrer le chef du GIA
Si Khaled Nezzar n’est pas allé à Rabat pour honorer cette invitation de Hassan II, il s’y rendra pour une occasion très particulière au printemps 1993. L’Algérie est alors plongée dans une effroyable guerre civile depuis déjà une année quand Abdelhak Layada, fondateur et chef du Groupe islamique armé (GIA), se rend discrètement au Maroc sous une fausse identité pour s’y cacher et tenter de se procurer des armes. Les services de renseignements algériens le localisent dans un hôtel de Oujda, près de la frontière algérienne.
Comment faire pour mettre la main sur Layada ? Organiser une opération à l’intérieur du territoire marocain, au risque de provoquer une crise diplomatique entre les deux capitales, ou informer les Marocains de sa présence sur le sol ? Khaled Nezzar décide d’appeler Driss Basri, ministre de l’Intérieur, pour évoquer la situation sécuritaire sans mentionner le cas d’Abdelhak Layada.
Le général Smaïn Lamari, numéro deux du DRS algérien (les services secrets, dissous en 2016), se rend alors au Maroc pour informer les Marocains de la présence du chef du GIA à Oujda et réclamer sa livraison. Les Marocains n’accèdent pas tout de suite à cette demande. Hassan II souhaite d’abord s’entretenir à Rabat avec Khaled Nezzar. Dans une villa royale, la rencontre entre les deux hommes dure deux heures. Alors qu’ils évoquent les modalités de la remise à l’Algérie du chef terroriste, le souverain marocain se tourne vers son hôte en s’exclamant : « Vous vous rendez compte, nous avons récupéré des stocks d’armes ! »
HASSAN II VA SE SERVIR DE CET ATTENTAT COMME D’UNE MACHINE INFERNALE CONTRE L’ALGÉRIE
Khaled Nezzar est convaincu que les services marocains ont menti à leur roi. Pour lui, l’emplacement des stocks d’armes a été révélé aux Marocains par Smaïn Lamari lors de son séjour au Maroc. Comment ? Ayant infiltré un réseau de soutien au GIA, les services algériens avaient noté les numéros de ces armes pour faciliter leur traçabilité. Le 29 septembre, Abdelhak Layada est officiellement extradé vers l’Algérie, où il sera jugé et condamné à mort. Gracié, il vit aujourd’hui libre, dans une banlieue d’Alger.
Son passage au Maroc provoquera un dommage collatéral, qui pèse encore sur les relations entre les deux capitales. Selon Nezzar, c’est l’une des armes automatiques de ces stocks qui a été utilisée dans l’attentat qui secouera, en août 1994, un hôtel à Marrakech. « La preuve que cet attentat a été monté par les services marocains, écrit Nezzar. Hassan II va se servir de cet attentat comme d’une machine infernale contre l’Algérie. » L’attaque aura comme conséquence la fermeture, jusqu’aujourd’hui, des frontières entre les deux pays.
Kadhafi implore l’aide algérienne
Mars 1987. Les troupes tchadiennes, appuyées par l’aviation française, prennent d’assaut la base libyenne de Ouadi Eddoum, dans la bande d’Aouzou, annexée par le colonel Kadhafi. Craignant que les Tchadiens ne remontent vers le nord pour s’emparer de territoires libyens, le « Guide » sollicite une aide militaire d’urgence auprès de l’Algérie.
Chadli charge Khaled Nezzar, chef d’état-major, d’une mission à Tripoli. Sous une tente dans le palais Al-Aziziya, il rencontre Kadhafi pour connaître la nature de l’aide attendue. De retour à Alger, Nezzar élabore un plan qui prévoit surtout le déploiement de troupes algériennes dans le nord de la Jamahiriya afin de permettre aux armées libyennes de défendre leur territoire au sud.
Le plan validé par Chadli, Nezzar retourne à Tripoli pour le soumettre au colonel. Ce dernier donne son accord, mais pose cette condition : « Les unités algériennes doivent venir sans munitions ! Il leur sera alloué, sur place, des munitions d’instruction à justifier par le reversement des étuis », rapporte Nezzar dans son livre. Les Algériens sont estomaqués par cette requête du colonel. Informé, Chadli reste sans voix. Le plan d’aide tombe à l’eau. « Nous doutons de l’équilibre mental de celui qui ose imaginer une telle aberration », conclut Nezzar.
C'était il y a vingt-six ans : l'assassinat, en Algérie, des sept moines du monastère Notre-Dame de l'Atlas, lesquels s'attendaient à cette fin tragique. Un quart de siècle plus tard leur souvenir reste entier. Tout comme les mystères entourant leur mort…
Don de soi, silence et solitude à l’écart des folies du monde : et si les moines avaient « inventé » un autre bonheur ? Aux antipodes du consumérisme effréné et de la culture zapping des réseaux sociaux, les moines et religieuses intriguent et fascinent. Dans son dernier hors-série, Valeurs actuelles, auxquels les moines ont ouvert leurs portes, se plonge dans ce “monde parallèle” qui attire, chaque année, de plus en plus de retraitants. De l’histoire de saint Benoît et des moines bâtisseurs des origines aux plus beaux monastères et abbayes actuels, des tragédies traversées (Templiers, Révolution, religieuses pendant la guerre 14-18…) à leur grand retour aujourd’hui, 132 pages en forme de « beau livre » magnifiquement illustrées et agrémentées, entre autres, de textes d’Alphonse Daudet, Georges Bernanos, Jean Raspail, Denis Tillinac et François d’Orcival.
Sept têtes décapitées le long d’une route. C’est l’horrible découverte effectuée par la police algérienne le 30 mai 1996 non loin de Tibéhirine — “jardin” en berbère —, un petit village de montagne à 90 kilomètres au sud d’Alger. Les têtes des sept moines français du monastère de Notre-Dame de l’Atlas enlevés deux mois plus tôt… Horreur et mystère : vingt-six ans plus tard, l’énigme demeure entière, ou presque, sur les circonstances exactes de ce massacre ayant bouleversé le monde.
Seule certitude : c’est dans la nuit du 26 au 27 mars, aux environs de une heure du matin, que les Frères Luc, Christian, Christophe, Michel, Célestin, Paul et Bruno, béatifiés par le pape François en 2018, ont été soudainement tirés de leur sommeil par un commando d’une vingtaine d’hommes en armes. Parvenus à se cacher, les deux autres moines présents au moment des faits, Amédée et Jean-Pierre, tous deux décédés depuis, ont pu échapper aux griffes de leurs ravisseurs. Ainsi qu’en rendra compte le merveilleux film de Xavier Beauvois Des hommes et des dieux, tous s’attendaient à cette issue tragique, mais avaient choisi de rester. « S’il m’arrivait un jour — et ça pourrait être aujourd’hui — d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays », avait écrit quelques jours plus tôt, comme un testament, son Frère prieur, Christian de Chergé, installé sur ces terres hostiles depuis plus de vingt ans.
Les moines furent pris pour cible une première fois, en 1993, trois ans avant le drame.
Hostile, l’Algérie l’était de plus en plus. Après l’indépendance de 1962, la question de l’avenir de ce monastère cistercien fondé en 1938 s’était posée à de multiples reprises. Chasse aux Français, chasse aux chrétiens. Mais les moines, déjà, avaient choisi de demeurer sur place, continuant à faire vivre de leurs prières, de leurs travaux agricoles et de leur soutien à la population locale, ce qui était l’ultime communauté contemplative catholique du pays. Il avait fallu réduire la superficie du domaine, s’engager à un strict « devoir de réserve », ne pas dépasser les douze moines…
Puis la situation s’est encore aggravée à partir des années 1990 et de la guerre civile opposant le pouvoir militaire FLN aux islamistes du GIA (Groupement islamique armé), sommant, dans un ultimatum lancé en 1993, « tous les étrangers de quitter l’Algérie ». Seront alors bannis de la liturgie du monastère les textes bibliques jugés trop durs à l’encontre des « ennemis d’Israël ». Hormis le dispensaire dirigé par Frère Luc, le plus âgé, 82 ans au moment de son assassinat, les moines doivent aussi limiter leurs activités sociales. « Nous en sommes arrivés à nous définir comme “priants au milieu d’autres priants”, témoignera la communauté dans un texte publié en 1994. Venant de notre cloche ou du muezzin, les appels à la prière établissent entre nous une “saine émulation réciproque” ». Sauvé d’une embuscade durant son service militaire en Algérie par un policier algérien père de douze enfants qui sera égorgé le lendemain par le FLN, Frère Christian, le plus investi dans ce “rapprochement”, estimait notamment être de son devoir de ne jamais abandonner la population de ce pays…
Jour après jour, l’étau se resserre
Mais rien n’y fait. Jour après jour l’étau se resserre autour de la petite communauté. En 1993, douze ouvriers croates, assassinés parce que chrétiens, ont la gorge tranchée sur un chantier proche de Tibéhirine. Puis c’est au tour du monastère lui-même d’être pris pour cible une première fois au cours de la nuit de Noël. Menacé d’être enlevé par un commando islamiste réclamant argent et médicaments, Frère Luc, l’ancien médecin, ne devra d’être sauvé qu’à la réaction de Frère Christian, récitant au chef des terroristes un verset du Coran, le convaincant de rebrousser chemin : « Nous ne vous considérons pas comme des étrangers, vous êtes des gens religieux », lui dira ce dernier au moment de quitter les lieux. Un intermède de courte durée. Au moins huit religieux catholiques seront tués en Algérie, dont quatre pères blancs, au cours des dix-huit mois précédant l’enlèvement, puis la décapitation, des sept moines martyrs…
Les conclusions du parquet antiterroriste français démontent la thèse officielle du pouvoir algérien
Arrive le 26 mars 1996. Cette fois, pas de discussion possible. Sous la menace de leurs armes, le commando emmène Christian, Luc et les autres. On ne les reverra jamais vivants. Nul ne sait, aujourd’hui encore, où ils ont été faits prisonniers. Un mois plus tard, le 27 avril, l’action est revendiquée par le chef local du GIA, Djamel Zitouni. Celui-ci assure que les moines sont toujours vivants, et propose leur libération contre celles de terroristes islamistes détenus en France. Le 30, un émissaire se présente au consulat de France à Alger, réitérant son chantage, qui n’aboutira pas — soit, selon les versions, en raison du refus des autorités algériennes, soit d’un “cafouillage” des services secrets français. Puis c’est à nouveau le silence jusqu’au 23 mai, date du terrible “communiqué n° 44” attribué au GIA annonçant avoir, deux jours plus tôt, « tranché la gorge des sept moines ». Une semaine avant la macabre découverte…
Les années, on l’a dit, n’ont pas permis d’éclairer les zones d’ombre de cette tragédie. Le mystère, tout au contraire, n’a fait qu’épaissir. Défendue dès le début par le pouvoir algérien, la thèse officielle d’un crime œuvre de bout en bout du GIA ne convainc pas. « Trop d’anomalies, trop de dissimulations » — jusqu’aux corps qui n’ont jamais été retrouvés ! —, accuse rapidement Me Baudouin, l’avocat des familles. Idem pour le Père Armand Veilleux, de l’ordre des Trappistes, “procureur général” de la congrégation au moment des faits.
Un mystérieux témoignage
Il faudra attendre… 2014 — soit dix-huit ans après les faits ! — pour qu’Alger autorise enfin l’autopsie des sept têtes, réclamée par les juges antiterroristes français chargés de l’affaire Jean-Louis Bruguière, puis Marc Trévidic. Sur place, ce dernier se voit cependant refuser d’auditionner des témoins, et interdire d’emporter des échantillons pour expertises complémentaires. Ses conclusions n’en sont pas moins implacables sur trois points pour la “version officielle” : 1) les décès sont antérieurs à la date revendiquée par le GIA (fin avril, soit un mois avant) ; 2) les décapitations ont eu lieu post-mortem, bien après les égorgements ; 3) les têtes ont d’abord été inhumées ailleurs que sur le lieu où elles ont été retrouvées. Autant d’éléments accréditant une sordide mise en scène des autorités algériennes…
Mais pourquoi cette mise en scène ? Première hypothèse, étayée par un « témoignage indirect » recueilli par l’attaché militaire de l’ambassade de France à Alger : dissimuler une “bavure” de l’armée algérienne, ayant fait mitrailler par hélicoptère le camp djihadiste où étaient prisonniers les sept moines, lesquels, confondus avec des terroristes, auraient donc été abattus par erreur — d’où le fait que les corps criblés de balles aient “disparu”. Mais cette version ne tient guère : comment expliquer, en effet, qu’aucun des sept moines n’ait été atteint à la tête ? Seconde hypothèse : couvrir une opération des services secrets algériens ayant fait enlever les religieux par des islamistes “retournés” (ce qui était le cas de leur chef local Zitouni) afin de discréditer la rébellion en France et en Algérie — leur mise à mort ayant été soit programmée par le pouvoir, soit le fait de djihadistes incontrôlés s’étant emparés des prisonniers.
Des hommes (qui) avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel.
Cette dernière hypothèse, citant ses deux variantes, est privilégiée dans divers documents des services secrets français. C’est aussi celle de l’avocat des familles : « Ce refus obstiné des autorités algériennes de coopérer est un aveu de reconnaissance de responsabilité dans la disparition des moines », affirmait Me Baudouin sur France Inter en 2016. C’était enfin, dès l’origine, l’une des thèses défendues par un très proche des victimes, Mgr Claverie, l’évêque d’Oran. Lequel tombera, cible d’une bombe nocturne, le 1er mai 1996, soit deux mois seulement après la découverte des têtes de Christian et ses Frères. « Il en savait trop », confiera le Père Veilleux…
Abandonné après la mort des sept moines, dont les restes reposent, sous de simples plaques tombales, dans le cimetière de Tibéhirine, le monastère de Notre-Dame de l’Atlas sera brièvement réoccupé par d’autres moines trappistes entre 1998 et 2001. Une communauté catholique “provisoire” en fait aujourd’hui discrètement revivre la mémoire. « Des crocus se sont mis à fleurir partout et les tombes des frères commencent à en être couvertes, rapporte l’un de ses membres. Des fleurs du désert irriguées par le sang des frères », mais aussi, veut-il croire, des « germes d’espérance »…
“Ce qui nous est nécessaire leur était inutile”
Cette espérance était certes celle des sept martyrs, si bien dépeints par l’écrivain Jean-Marie Rouart dans un discours sur la vertu prononcé en 2001 à l’Académie française : « Des hommes (qui) avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel, de la beauté, du ciel, des nuages. Des hommes pas comme les autres : ils n’avaient besoin ni de confort ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant. » Un an avant sa mort, Frère Paul ne s’en interrogeait pas moins : « Que restera-t-il dans quelques mois de l’Église d’Algérie, de sa visibilité, de ses structures, des personnes qui la composent ? Très peu vraisemblablement. » Tout un symbole : la construction, depuis, d’une mosquée devant le portail de Notre-Dame de l’Atlas
«Marx était l'homme le plus haï et le plus calomnié de son temps. Les gouvernements absolutistes ou républicains l'ont déporté. Bourgeois, conservateurs ou démocrates se sont unis contre lui », déclaration d'Engels lors des funérailles de Marx.
En cette période d'entrer de l'Europe dans la guerre, escortée de son habituel lot d'exilés et de la criminalisation de l'activité politique révolutionnaire, il n'est pas inutile de rappeler que la vie de Karl Marx a été marquée par l'exil forcé, le bannissement, l'emprisonnement, la misère.
Jamais, autant que Marx, dirigeant politique n'a été combattu, vilipendé, calomnié, discrédité de son vivant. Les premières années de sa vie de militant révolutionnaire sont émaillées de persécutions, d'expulsions, d'interdictions, de condamnations, de détention. D'abord, en butte aux persécutions en Allemagne, Karl Marx se réfugie à Paris. À peine installé dans la capitale française, il fait l'objet d'un ordre d'expulsion sur la requête du pouvoir prussien. Ensuite, il trouve exil en Belgique. Revenu en Allemagne, aussitôt il est à nouveau banni. Il part se réfugier à Paris en 1848. Il participe aux journées révolutionnaires de Juin. Il est arrêté et interné dans le Morbihan. Il parvient à s'échapper, puis traverse la Manche pour s'exiler définitivement à Londres.
Ainsi, Marx a été traqué, pourchassé dans toute l'Europe. Il finit par s'exiler en Angleterre, seul pays dépourvu de législation pour délit d'opinion. Cependant, l'Angleterre, si elle lui accorde le droit d'exil, elle lui refuse tout droit de travail.
Comme l'a écrit le militant et historien socialiste Franz Mehring : «Malheur au génie indépendant et incorruptible qui s'oppose fièrement à la société bourgeoise, qui sait lire dans le fonctionnement de ses rouages internes les signes avant-coureurs de sa fin prochaine et qui forge les armes qui lui donneront le coup de grâce. A un tel génie, la société bourgeoise réserve des supplices et des tortures qui peuvent paraître moins barbares que ne l'étaient le chevalet de l'Antiquité et le bûcher du Moyen Age, mais qui au fond n'en sont que plus cruels.»
Condamné à vivre dans la pauvreté, Marx, pour pouvoir travailler à son œuvre et à l'organisation du mouvement ouvrier, n'a dû sa survie qu'au soutien financier de son ami dévoué Engels. Contrairement aux calomnies répandues sur Marx, celui-ci n'a jamais refusé de travailler pour mieux se consacrer librement à la rédaction de ses écrits. En vérité, c'est par la volonté de la bourgeoisie de l'affamer qu'il est s'est retrouvé sans emploi. En effet, par son statut d'exilé comme par sa stature de « dangereux » révolutionnaire, Marx ne pouvait pas décrocher un emploi à la hauteur de ses compétences universitaires (Marx était titulaire d'un doctorat en philosophie et avait une compétence reconnue dans le journalisme).
De toute évidence, toute la bourgeoisie européenne s'est liguée contre Marx : hors de question de lui accorder un emploi ou une simple pige dans un journal. Néanmoins, il parvient à se faire «recruter» en qualité de journaliste, mais sous une fausse identité, par New York Daily Tribune avec lequel il collabore une bonne dizaine d'années à partir de 1851. Avec ses 200.000 abonnés, New York Daily Tribune est alors le journal le plus lu et le plus riche des Etats-Unis.
Ainsi, au cours de sa vie d'exilé, Marx n'a jamais pu exercer un travail fixe. Ce qui le conduit à vivre dans une extrême pauvreté. Plusieurs de ses enfants ont subi dans leur chair les cruelles affres de l'infortune de leurs parents : certains sont morts de faim. D'ailleurs, Marx écrit par ironie : «Je ne pense pas qu'on n'ait jamais écrit sur l'argent tout en en manquant à ce point».
Durant toute sa longue vie d'exilé (de 1848 jusqu'à sa mort en 1883), Marx a vécu dans la misère, comme en atteste sa correspondance avec Engels. Certes, ce dernier, installé également en Angleterre, lui apporte un soutien financier régulier, mais il permet à peine à la famille de Marx de survivre. En effet, en dépit de cette aide pécuniaire généreuse, Marx et sa famille vivent dans une extrême misère : « Ma femme est malade, la petite Jenny est malade, Léni a une sorte de fièvre nerveuse. Je ne peux et je ne pouvais appeler le médecin, faute d'argent pour les médicaments. Depuis huit jours, je nourris la famille avec du pain et des pommes de terre, mais je me demande si je pourrais encore me les procurer aujourd'hui », écrit-il à Engels le 4 septembre 1852. Au reste, l'un de ses enfants, Edgar, meurt de malnutrition.
De fait, jusqu'à sa mort, Marx mène une vie d'anachorète. À Londres, Marx vit dans un misérable appartement deux pièces, décrit par ses familiers comme un taudis où s'entassent anarchiquement de vieux meubles. Outre l'indigence dans laquelle Marx a été réduit à vivre, il devait également subir tout au long de sa vie d'odieuses calomnies par de nombreux auteurs
Au lendemain de la mort de Marx, le journal «L'univers » se répand, dans un article où la calomnie le dispute au mensonge, en une diatribe ignoble. Le journal écrit le 19 mars 1883 :
« Marx fonda l'Internationale, terrible et vaste plan, dont la réalisation amènerait une dictature des travailleurs et conduirait le monde à la « liquidation sociale ». Marx était juif, comme son compagnon socialiste Lassalle. Aussi avait-il à un haut degré toutes les particularités distinctives de sa race. Il aimait le luxe, le faste et le bien-être matériel, tout en fulminant avec indignation contre le capital et la bourgeoisie. Toujours comme Lassalle, époux d'une Allemande d'origine princière, Marx parvint à épouser une jeune fille noble et riche, sœur du comte de Westphalen, le ministre ultraconservateur prussien de la réaction de 1850. Alors le juif put satisfaire ses goûts. Il s'entoura de tout le luxe que lui permit la fortune de sa femme.
On possédait un bel hôtel à Londres ; on louait en hiver des villas sur la Riviera ; au printemps, on allait jouir du climat délicieux de l'île de Wight ; on s'installait à Ventnor, l'ancienne résidence de l'impératrice d'Autriche ; puis en été on cherchait la fraîcheur dans un chalet d'Interlaken ou de Brunnen. Tout en menant cette large existence, Marx ne cessait de faire ses plus larges efforts pour révolutionner les travailleurs en les excitant à demander la liquidation sociale. Il se garda bien de donner l'exemple de cette liquidation. Sa générosité pour les travailleurs était toute platonique. Le juif Marx a puisé ses principales idées dans les fameuses doctrines de Luther. « Faites ce que vous voudrez, mentez, parjurez-vous, volez, tuez les riches et les princes, croyez seulement que vous avez bien fait. » Ces infâmes paroles, le fondateur de l'Internationale se les était appropriées ; il les avait arrangées selon les besoins du siècle. Les travailleurs trouvent que l'équité exige la liquidation et que chacun est roi en vertu des principes de la souveraineté nationale. »
De nos jours encore, on trouve des calomnies grossières de même acabit contre Marx. Sous la plume de ses détracteurs, on peut lire que Marx aurait engrossé la bonne, profité de tout le monde, exploité ses filles, acculant deux d'entre elles au suicide.
Cependant, à la lecture du rapport de la police prussienne sur l'exil de Marx à Londres, peu suspect de sympathie politique révolutionnaire, on découvre la vérité. Dans ce rapport, il est écrit : « Le chef de ce parti (les communistes) est Karl Marx ; les autres dirigeants les plus proches sont Friedrich Engels, qui vit à Manchester et Freiligrath et Wolff « Lupus » à Londres, Heine à Paris, Weydemeyer et Cluss aux États-Unis ; Burgers et Daniels sont à Cologne (Köln) et Weerth, à Hambourg. Mais l'esprit actif et créatif, l'âme véritable du parti est Marx ; Je tiens donc à vous parler de sa personnalité... il porte la barbe ; ses yeux sont grands, fougueux et pénétrant, il a quelque chose de sinistre, de démoniaque. Cependant, il montre, à première vue, le regard d'un homme de génie et d'énergie. Sa supériorité intellectuelle exerce une influence irrésistible sur ceux qui l'entourent. Sa femme, la sœur du ministre prussien de Westphalen, est une femme cultivée et agréable, qui, pour l'amour de son mari, s'est adapté à une vie de gitane et maintenant se sent parfaitement bien dans leur environnement, dans cette misère. Il a deux filles et un garçon, tous très mignon et les mêmes yeux intelligents du père...
En tant qu'époux et père Marx, malgré son caractère agité et violent, est le plus tendre et le plus doux des hommes qui soit du monde. Marx vit dans un des pires quartiers de Londres et par conséquent l'un des moins onéreux. Son domicile est constitué de deux pièces, celle face à la rue et le Hall et l'autre qui est à l'arrière et sert de chambre pour dormir. Dans toute la maison il n'y a pas un seul meuble propre et en bon état. Tout est en ruine, ébréché, usé, revêtu d'une couche de poussière de l'épaisseur d'un doigt ; partout règne le plus grand désordre. Au milieu de la pièce trône une relique, une grande table, recouverte d'une couche de cire qui n'a jamais été poncée. Ici s'entassent manuscrits, livres et journaux de Marx, jouets pour enfants, pièces pour l'usage des femmes, tasses de thé aux bords fissurés, sales, des cuillères, des couteaux, des fourchettes, des chandeliers, des encriers, des pipes de porcelaine hollandaise, de la cendre de tabac : tout entassé, empilé sur cette unique table. Quand on entre dans la maison de Marx, le charbon et la fumée de tabac est tellement dense que dans un premier temps vous devez aller à tâtons comme dans une caverne ; puis progressivement la vue s'habitue à la fumée et commence à apercevoir quelque chose, comme dans un brouillard. Tout est sale et couverte de poussière, s'asseoir est vraiment une entreprise dangereuse. Ici, une chaise qui tient seulement trois jambes, au-delà les enfants jouent sur une autre chaise, En train de cuisiner par hasard ensemble.
Naturellement toute la collation est offerte au visiteur, mais les enfants traînent au milieu des déchets de cuisine, et vous sentez que vous risquez de détruire vos pantalons en les posant sur ladite chaise. Mais tout cela ne cause pas à Marx et à son épouse la moindre gêne. L'hôte est le plus sympathique du monde ; Pipe, tabac et tout ce qui peut être trouvée dans la maison est offert avec la plus grande cordialité. Une conversation intelligente et agréable permet de surmonter les lacunes domestiques, rendre tolérable ce qui dans un premier contact était juste désagréable. Puis, enfin au bout du compte vous trouvez l'atmosphère intéressante et originale. »
De toute évidence, du vivant de Marx, la bourgeoisie a tout fait pour l'empêcher d'agir en le diabolisant, en le persécutant de son arsenal policier. Après sa mort, elle a tout fait pour dénaturer son combat pour la destruction du capitalisme et l'avènement du communisme.
Aujourd'hui, plus d'un siècle après sa disparition, Marx continue de susciter autant de diffamations, de déformations de sa pensée. Certes, de nombreux universitaires reconnaissent l'apport de Marx à l'économie, à la philosophie et à la sociologie. Mais pour mieux insister sur la caducité de la pensée de Marx. Ou encore pour mieux souligner les erreurs politiques de la pensée de Marx. Par cette entreprise de dévitalisation de la pensée de Marx, cette élite universitaire vise à rendre moins mordante sa théorie, à émousser le tranchant révolutionnaire et militant du marxisme. Parmi les arguments avancés par ses mandarins de l'université, pour falsifier et déconsidérer l'œuvre révolutionnaire de Marx, figure cette sentencieuse assertion considérant Marx comme un simple «penseur du XIXe siècle». Entendant par là que son œuvre ne permet pas de comprendre l'évolution ultérieure des XXe et XXIe siècles. (Il est vrai que l'œuvre de Bernard Henry Levy ou d'Alain Finkielkraut permet mieux de comprendre le monde capitaliste contemporain).
Le projet d'émancipation révolutionnaire n'aurait aujourd'hui, selon certains auteurs, aucune validité, ni nécessité historique. D'ailleurs, toujours selon ces théologiens modernes du capital, la classe ouvrière n'existerait plus. Et son projet politique ne pourrait déboucher que sur le cauchemar totalitaire stalinien.
Selon ces plumitifs du capital, hormis ses apports en matière philosophique et sociologique, tout l'aspect politique révolutionnaire de l'œuvre de Marx serait finalement à jeter aux poubelles de l'histoire. D'aucuns, comme Jacques Attali, conseiller de la bourgeoisie, s'ingénient de récupérer Marx en réduisant le combat de Marx en défenseur de la démocratie, du libéralisme. Ce conseiller des princes ose affirmer que Marx serait un des «père fondateur de la démocratie moderne». Toujours selon ces thuriféraires du capitalisme, l'œuvre de Marx permet surtout de comprendre et d'améliorer le capitalisme. Certains de ces apologistes du capital ne tarissent pas d'éloges sur le génial ouvrage «économique» de Marx, Le Capital. Marx est un «économiste de génie», clament-il : il est le premier penseur à avoir pressenti les crises du capitalisme, prédit la mondialisation, l'accroissement des inégalités, etc.
Au fond, d'après cette analyse tendancieuse panégyrique, il s'agirait de comprendre Marx, non comme le militant révolutionnaire qu'il était, mais comme un penseur dont l'œuvre permettrait d'améliorer le capitalisme.
Par ailleurs, parmi les plus célèbres apologistes de Marx figurent au premier plan depuis un siècle ses prétendus héritiers : depuis les staliniens jusqu'aux trotskistes en passant par les nombreuses chapelles gauchistes. En réalité, tous ces thuriféraires de Marx n'ont cessé de défigurer, dénaturer, souiller le révolutionnaire Marx, notamment par sa métamorphisation en icône quasi-religieuse, sa canonisation au moyen d'érection de statues. Par leur assimilation mensongère des pays staliniens au communisme.
De manière générale, contrairement aux mensonges colportés par ces serviteurs du capital, Marx n'a jamais été ni un économiste, ni philosophe, ni un sociologue. Marx est d'abord un révolutionnaire, c'est-à-dire un combattant. Son travail théorique est incompréhensible sans ce point de départ. Certains ont voulu faire de Marx un pur savant enfermé avec ses livres et coupé du monde. Mais seul un militant révolutionnaire peut être marxiste. Depuis sa participation au groupe des jeunes hégéliens à Berlin en 1842 jusqu'à ces derniers engagements de la fin de sa vie, Marx a été un combattant pour le communisme.
L'œuvre théorique de Marx est monumentale. Et si Marx a pu développer une originale élaboration théorique, c'est parce qu'il s'est placé d'emblée du point de vue de la nouvelle classe ouvrière enfantée par le capitalisme pour soutenir sa pathologique valorisation. Il a été le premier à théoriser scientifiquement le rôle révolutionnaire de la Classe Ouvrière. À comprendre, par sa place essentielle au sein de la production, sa mission historique de fossoyeur du capitalisme. À saisir que la classe ouvrière n'a rien à défendre dans le capitalisme mais seulement ses chaînes à perdre par sa lutte contre son exploitation.
Marx, en partant de ces postulats, a été le premier révolutionnaire à comprendre que le combat des ouvriers contenait potentiellement la fin de l'exploitation de l'homme par l'homme, dans laquelle l'humanité se débat depuis l'apparition des classes sociales. Et la libération de la classe ouvrière permettrait l'avènement de l'humanité réunifiée, c'est-à-dire dire la communauté humaine universelle, la société sans classe. Sur le fondement de la mission historique de la classe ouvrière (transformation de classe en soi en classe pour soi), Marx a mis en œuvre sa méthode scientifique, le matérialisme historique, nouvelle arme de combat de la classe ouvrière. Par sa nouvelle méthode dialectique, Marx remet sur ses pieds l'approche philosophique idéaliste de Hegel, pour qui certes toute transformation de la réalité est un processus dialectique, mais par l'Esprit.
C'est en partant du point de vue de la classe ouvrière, que Marx a pu s'atteler à l'étude de l'économie pour lui offrir un outil de compréhension des mécanismes d'exploitation en œuvre dans le système de production capitaliste. C'est en combattant de la classe ouvrière et non en savant neutre que Marx s'est donc engagé dans l'étude des fondements économiques de la société capitaliste pour en faire la critique.
Cette étude lui a permis de découvrir les règles économiques du système capitaliste. De démontrer que le fondement du capitalisme est l'échange marchand. C'est l'échange qui est à la base du rapport salarial, c'est-à-dire du rapport d'exploitation de l'homme par l'homme dans le capitalisme. Et l'achat de la force de travail signifie production de plus-value, et donc exploitation.
Grâce notamment à l'approche matérialiste, Marx a pu dégager l'historicité du mode de production capitaliste. A l'instar des modes de production antérieurs emportés par les convulsions de l'Histoire, le système capitaliste n'est pas aussi éternel. Le capitalisme est confronté à des limites intrinsèques. Il entre historiquement en crise car «à un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n'en est que l'expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s'étaient mues jusqu'alors. De formes de développement des forces productives qu'ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s'ouvre une période de révolution sociale» (Contribution à une Critique de l'économie politique).
En outre, Marx démontre que le capitalisme produit son propre fossoyeur : le prolétariat, qui est à la fois la dernière classe exploitée de l'histoire. Exploité, opprimé, dépossédé de tout, le prolétariat est la classe sociale potentiellement révolutionnaire par la nature associée et solidaire de son travail. Classe qui, en s'unissant au-delà des frontières, est la seule force capable de renverser le capitalisme au niveau mondial pour établir une société sans classes et sans exploitation.
L'élaboration théorique réalisée par Marx demeure un outil d'analyse irremplaçable pour la compréhension de la société bourgeoise du XIXe siècle, mais également des deux siècles suivants. À notre époque de crise systémique du capitalisme, les découvertes théoriques de Marx doivent être à nouveau réappropriées par la classe ouvrière pour mener efficacement son combat contre le capitalisme dans une perspective de sa destruction.
Marx aura partagé le sort du prolétaire moderne. Il a mené une existence misérable, totalement précaire. Il a subi les persécutions, les calomnies, les condamnations, l'internement, l'exil.
A la veille de son cinquantième anniversaire, Marx écrit : « Un demi-siècle sur les épaules et toujours aussi pauvre ! » Dans une autre lettre il écrit : « Je dois poursuivre mon but envers et contre tout et ne pas laisser la société bourgeoise faire de moi une machine à faire de l'argent. » (Lettre de Marx à Weydemeyer le 1er février 1859).
Jusqu'à sa mort, Marx l'immigré, l'exilé de force, est demeuré fidèle à ses convictions.
A la Mostra de Venise, 23 films briguent cette année le Lion d’or, mais la Mostra, ce sont aussi des dizaines de films hors compétition et dans les sections parallèles, qui privilégient les jeunes cinéastes. C’est le cas des Journées des Auteurs, qui mettent en lumière un magnifique premier film algérien : El Akhira, la dernière reine, un long-métrage signé Damien Ounouri et Adila Bendimerad.
1516. La légende dit que le roi d’Alger avait une femme nommée Zaphira. Quand le pirate Aroudj Barberousse arrive pour « libérer » la ville des Espagnols, il est déterminé à conquérir Zaphira ainsi que le royaume lui-même. Mais Zaphira est-elle prête à le laisser faire ou complote-t-elle pour elle-même ?
El Akhira nous entraîne à Alger, à l’époque du pirate Barberousse. Au XVIe siècle, celui-ci libère la ville du joug des Espagnols et prend le pouvoir. Une femme va alors lui tenir tête, la reine Zaphira.
Damien Ounouri et Adila Bendimerad reconstituent la cour, fastueuse et raffinée, de cette reine berbèro-arabe, méconnue en Algérie.
« Ça paraît évident pour les Européens ou pour les pays de grand cinéma d’avoir des images, des repères, explique Adila Bendimerad au micro de RFI, nous on n’en a pas. On a une espèce de trou noir… on n’a jamais vu, par exemple, un film aussi ancien parlé avec notre langue. Ça, c’était très excitant de montrer aux Algériens et à nous-mêmes, des costumes de l’époque, de parler notre langue, c’est très important. »
Adila Bendimerad, comédienne et scénariste que l’on a déjà pu voir dans Normal ! ou Les Terrasses de Merzak Allouache, joue Zaphira, reine combattante, bravant les interdits pour défendre son royaume. Entre combats sanglants, histoires d’amour et intrigues de cour, El Akhira premier long métrage de fiction de Damien Ounouri, contient tous les ingrédients d’un grand film, populaire et romanesque.
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